Cercles/Fictions, Joël Pommerat : Une école du spectateur, aujourd'hui (ou une école du regard) :

Thanks to my eyes

opéra de Joël Pommerat et Oscar Bianchi

au Théâtre National de Bruxelles

d'après Grâce à mes yeux, et à partir de son adaptation en livret par Joël Pommerat


Sur une fable de Joël Pommerat aussi belle qu’archaïque, l’épopée intérieure d’un fils qui résiste à son père et s’efforce de comprendre l’existence, Oscar Bianchi compose une musique de chambre sans cesse inventive, qui cherche à épouser toutes les intensités de l’apprentissage.

Anti-héros qui ne parvient pas à endosser l'héritage paternel, symbolisé par un costume de clown trop large et trop long, ce personnage à la dérive concentre toute l'étrangeté mélancolique du livret, comme de la musique. Cette figure de bouffon paumé et désœuvré appelait sans doute la référence au Pierrot lunaire de Schoenberg : d'où cette intrusion de l'un des poèmes d'Albert Giraud mis en musique par Schoenberg, Evocation (« Madonne des hystéries »), chanté en français par l'une des sopranos, parenthèse qui fait surgir en négatif tout ce que refuse l'art de Bianchi comme celui de Pommerat – l'outrance expressionniste.


Le théâtre, "un champ de forces", Antoine Vitez


Le dialogue : http://tempoedialectique.blogspot.com


Lassé de la sur-communication et du bavardage qui remplissent la société actuelle, ses mises en scène remettent en question le théâtre dialogué, en privilégiant d'autres formes de communication.

Grâce à mes yeux, Joël Pommerat


Une école du spectateur, aujourd'hui (ou une école du regard) :


"L'art ne reproduit pas le visible, il rend visible", Paul Klee


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“Thanks to my eyes” comble nos oreilles à Aix-en-Provence, Gilles Macassar, 6-7 2011 Telerama.fr

Festival d'Aix-en-Provence | Pari gagné haut la main pour le Festival d'Aix-en-Provence, qui offrait en soirée d'ouverture, mardi 5 juillet, le premier opéra du jeune compositeur italien Oscar Bianchi. Une création inspirée de la pièce “Grâce à mes yeux”, de Joël Pommerat, qui signe aussi la mise en scène.

Photo : Elisabeth Carrechi

Thanks to my eyes, une parabole œdipienne servie par une richesse d'invention
sonore, un juste équilibre instrumentistes-chanteurs.

Sur le plateau nu du théâtre du Jeu de Paume apparaît épisodiquement, tout au fond, un banc de jardin public. On ne serait pas surpris que viennent s'y asseoir Vladimir et Estragon, les deux clochards d'En attendant Godot, tant Grâce à mes yeux, la pièce de Joël Pommerat qui, traduite en anglais, sert de livret à l'opéra d'Oscar Bianchi, évoque l'univers fantomatique et désenchanté de Samuel Beckett, ses leurres et ses frustrations, dans un crépuscule de fin du monde, entre chien et loup. En confiant sa création contemporaine à Oscar Bianchi, compositeur italien de 36 ans qui signe son premier ouvrage lyrique, et en lui réservant les honneurs de sa soirée d'ouverture, le festival d'Aix-en-Provence a visé juste, et gagné son pari. Fable elliptique sur la déception de toute existence, l'échec des transmissions familiales, la réalité incertaine de l'art et du spectacle, Thanks to my eyes est tout, sauf une déception ou un échec.

Cette réussite tient d'abord à la qualité de la musique, à sa richesse d'invention sonore comme à sa maîtrise de l'écriture vocale, et au juste équilibre instrumentistes-chanteurs. En bon Italien, ancien étudiant du conservatoire Giuseppe-Verdi de Milan, Oscar Bianchi aime les voix, en respecte les tessitures, sans pour autant sacrifier à l'hédonisme vocal ou aux facilités révolues du bel-canto. Des six rôles du livret – l'un est muet (le messager) un autre parlé (la mère) – quatre sont chantés : le père et le fils, et deux jeunes femmes éprises du fils, l'une solaire, l'autre nocturne. Quatre voix, quatre styles bien différenciés, de l'arioso solennel pour le père (baryton-basse), aux envolées mélodiques, parfois suraiguës, pour les deux sopranos. Mais c'est au rôle du fils, confié à un contre-ténor, qu'est réservé le traitement vocal le plus original et le plus approprié : une déclamation tendre et fragile, proche du lied, toujours prête à se résorber dans le silence ou à se fondre dans un trop-plein d'émotion.

Anti-héros qui ne parvient pas à endosser l'héritage paternel, symbolisé par un costume de clown trop large et trop long, ce personnage à la dérive concentre toute l'étrangeté mélancolique du livret, comme de la musique. Cette figure de bouffon paumé et désœuvré appelait sans doute la référence au Pierrot lunaire de Schoenberg : d'où cette intrusion de l'un des poèmes d'Albert Giraud mis en musique par Schoenberg, Evocation (« Madonne des hystéries »), chanté en français par l'une des sopranos, parenthèse qui fait surgir en négatif tout ce que refuse l'art de Bianchi comme celui de Pommerat – l'outrance expressionniste.

<p>Photo : Elisabeth Carrechi.</p>

Photo : Elisabeth Carrechi.