On les avait prévenus qu’ils ne sauraient jamais leur texte. Qu’avec ces enfants-là, il vaut mieux faire du sport. Qu’ils ont besoin de se défouler, d’évacuer leur colère. Qu’à l’école, quand on leur demande de refaire quelque chose, ils renversent le bureau par terre. On leur avait dit que l’improvisation théâtrale allait décupler leur agressivité. Qu’ils allaient passer leur temps à s’engueuler. Et, au début, en effet, ils ont passé leur temps à s’engueuler.
Mais voilà Mélany, Thomas, Kévin, Audrey, Christopher qui montent sur scène. Elle est jolie, ses grands yeux noisette écarquillés et sa panique d’oublier ses répliques. On dirait un prince, dans son habit blanc à replis. On dirait un elfe, quand il chante, seul au milieu, la voix flûtée : «Reviens, reviens, je t’attends une rose à la main.»

Christopher a 12 ans. Il est pensionnaire à l’institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (Itep) de Saint-Georges-sur-Baulche, près d’Auxerre (Yonne), qui accueille des enfants souffrant de troubles du comportement. Autour de lui, en arc de cercle, avancent Mélany (Eglé), Prisque (Carise), Thomas (Azor), Romain (Mesrou). Des «jeunes des foyers», comme ils s’appellent euxmêmes, placés sur décision judiciaire à la suite de maltraitances ou de défaillances parentales. Des «artistes dramatiques», affirme leur premier contrat de travail, qui les embauche pour huit dates au Théâtre de la Tempête (dès mercredi) à Paris, deux à Avallon (Yonne) et une à Nevers (Nièvre).
La Dispute.com, c’est leur spectacle, «un texte de Marivaux et des choses de nous qu’on a rajoutées», résume Logan, 18 ans, en maison d’enfants à Coulanges-sur-Yonne depuis deux ans et demi. «La dispute, c’est un sentiment que je connais, dit Maxence, 15 ans, en foyer à Gurgy (Yonne). Avant, dès qu’on me disait quelque chose, je partais au quart de tour, je m’énervais. C’est bizarre, tu peux être tout gentil et l’instant d’après un monstre. C’est en partie pour ça que j’ai été placé.»
Bazar ambiant. Ce mercredi 15 octobre, dans la salle polyvalente de Gurgy, c’est le dernier filage avant une répétition publique, puis la première parisienne, jeudi en huit. Prisque, 17 ans, râle ; elle n’aime pas son costume. «C’est n’importe quoi ce chapeau. Et le pantalon jogging pattes d’eph, pfff.» Serge Sándor, le metteur en scène, sourit. «Un comédien n’aime jamais son costume la première fois qu’il le met.» Au milieu du bazar ambiant - une embrouille en coulisse, un débat sur les piercings sur scène -, le flegme joyeux de l’homme de théâtre est fascinant. L’impondérable ne lui fait pas peur, lui qui a monté des pièces avec des SDF au Théâtre de Chaillot, des détenus dans les prisons de Mexico, des malades psychiatriques à La Havane. «Avec, à chaque fois, un seul but, répète-t-il. Réaliser une création de qualité capable de défier le théâtre conventionnel. Pas question de limiter nos ambitions artistiques.» S’ajoute, en revanche, une autre ambition : changer l’image souvent dévalorisée que ces jeunes ont d’eux-mêmes. Et le regard des autres sur eux. «Personne ne croit que des jeunes de foyers sont capables de faire un truc de ouf comme ça», résume Marion, 18 ans, placée depuis neuf ans.
La pièce de Marivaux est un conte abstrait sur l’infidélité. Hermiane et son Prince, débattant de savoir lequel des deux sexes fut le premier inconstant, décident d’élever quatre enfants, deux filles et deux garçons, dans une forêt coupée du monde. Puis, à l’adolescence, de les confronter, pour savoir qui trompera qui en premier. Les jeunes l’ont transposée dans un loft de télé-réalité, ajoutant à quelques endroits leurs propres dialogues. «Au collège, j’ai fait du théâtre, raconte Mélany, 13 ans. C’était Molière, le Médecin malgré lui. J’ai pas aimé. La Dispute, ça ressemble à notre vie. Et puis on peut proposer des choses. Au collège, c’est même pas la peine.»
Mélany tient le premier rôle, la belle adolescente narcissique Eglé. Un long texte en prose du XVIIIe qu’elle a appris vaillamment. «A l’école, impossible de lui faire retenir quatre lignes de récitation, compare son éducateur, Mario. A l’atelier théâtre, la différence, c’est que Serge ne les lâche jamais, même quand ils sont ultra casse-pieds. Ce qui manque à ces enfants, c’est une affection inconditionnelle pour ce qu’ils sont et non pas pour ce qu’ils font. L’école les confond avec ce qu’ils font : "Il se comporte en petit branleur, c’est un petit branleur." Ici, s’ils se plantent, on leur dit "tu feras mieux demain".»
A Gurgy, le 15 octobre, dernier filage pour les jeunes comédiens, sous la houlette de Serge Sándor.
(Photos Lionel Charrier. Myop)
Sur scène, Kévin, 12 ans, déclame les «rêves» des enfants de l’Itep. «Un monde meilleur, avec la paix. Un bon comportement, arrêter mes colères. Casser la gueule à quelqu’un. Avoir une belle voiture. Ne pas avoir d’enfants. Rencontrer Violetta [héroïne d’une série Disney, ndlr]. Devenir immortel.» Le décor rouge profond, les accessoires et les costumes ont été fabriqués par des mineurs du centre éducatif renforcé (CER) de Gurgy et de plusieurs établissements de placement éducatif de la région.
Christopher entre par la petite porte du loft, un poème à la main. Il l’a écrit pour sa mère. «Avec le temps et le vent de la vie, je me suis mis à courir après ton sourire.» Comme la plupart des enfants du spectacle, il ne sait pas si elle viendra le voir jouer. «Mes parents, ils ont pas le temps, ils sont très occupés, raconte Stephen, 11 ans. Au début, quand je leur ai dit que je faisais du théâtre, ils voulaient pas me croire, parce qu’avant je mentais tout le temps. Mais, grâce au théâtre, j’ai appris à mieux me contrôler, je viens de rentrer dans une école normale en inclusion en CM2, mon éducateur est très fier. Je vais gagner 90 euros, je vais acheter des jeux pour mon petit frère.» Kévin sourit à côté. «J’ai dit à ma mère qu’on allait être payés, elle m’a dit que comme ça je pourrais rembourser tout ce que j’ai cassé.»
«Aboutissement». Assise sur une chaise en plastique, Josette, éducatrice de Kévin, Christopher et Stephen à l’Itep, les regarde. «Avec les enfants des foyers, ils ont en commun des histoires familiales brisées, chaotiques, des séparations, des placements, voire, plus graves, des maltraitances, des incestes, dit-elle. Et puis la non-estime de soi, le discours "je ne vaux rien, je suis une merde." C’est rare un projet qui mélange ainsi les différents types d’institutions. Quand ils ont rejoint le groupe des "grands" des foyers, ils étaient fous de joie.»
Mélany tapote ses ongles au vernis bleu pétant sur l’écran de son portable tandis que Maël et Maxence répètent une nouvelle scène, rajout de dernière minute. «C’est duuur d’attendre», souffle l’adolescente. Son éducateur, Mario, hoche la tête. «Ils ont manqué de pratiquement tout. Donc, quand ils sont en situation de prendre, ils prennent tout, tout de suite, ils dévorent. Ils ont tellement été déçus dans leur enfance par l’attente. Des attentes vides, trompées. Là, ils patientent à chaque répétition, et ils patientent depuis un an pour parvenir aux représentations.»
Vincent Thomas, qui dirige sept établissements, dont trois participent au projet, avait contacté Serge Sándor «parce qu’aucune activité culturelle n’existait dans les foyers ; il n’y avait que du sport». Au départ, explique-t-il, l’objectif était la découverte du théâtre. «Et puis on a complètement dépassé ça ! Les enfants se sont métamorphosés, épanouis. Certains qui n’osaient même pas adresser la parole à un adulte, d’autres, au contraire, qui n’étaient que dans la bagarre : Serge en a fait une véritable troupe, on sort du petit spectacle d’école. Et le fait d’aller à l’aboutissement d’un projet… Ce sont des enfants qui ne vont pas souvent au bout. Pas au bout de l’école, pas au bout de la formation, pas au bout de la relation, qu’ils font exploser pour rester maîtres des choses…»
Sur la scène du Théâtre de la Tempête à Paris, Tiffany, Benjamin, Prisque, Logan et les autres auront «la peur» mais aussi «la fierté», dit Marion. Le trac, oui, bien sûr, renchérit Salem, 15 ans, qui s’occupe de la régie son et lumière. «Mais on ne va pas lâcher, c’est pour Serge et pour nos éducateurs qu’on le fait.»


"Body Art", tableau vivant à la manière de Bill Viola for "The Quintet of the silence" (1951)


Option Théâtre de Première : groupe A

Première expérience de ce travail sur le silence,
le corps, la gestuelle, le mouvement, l'individu et le groupe ..

"Mon corps, mon lieu" :  

"anthropoglyphes" . . "le vrai sang" 

Valère Novarina

A suivre . .





The Quintet of the silence (1951)


For The Quintet of the Silent, Bill Viola assembled five actors in a composition that recalls a Renaissance painting. He instructed the performers "to show pressure, tension, and stress in a general arc of emotion as it enters, manifests, and leaves the body." Viola filmed their interpretation of this instruction in one minute in real time, but the final work is stretched over a fifteen-minute continuous loop.
Since Bill Viola became a pioneer of video art in the 1970s, he has often referred to spirituality in his art. During a yearlong residency at the Getty Research Institute in California in 1998, Viola studied the passions in medieval and Renaissance art. Two years later, Viola began a series focusing on extremes of human emotion that included The Quintet of the Silent. This work is presented without sound, isolating the nuanced progression of facial expressions within a wave of emotional intensity.

Exposition Bill Viola au Grand Palais (2014)







Les Nègres de Jean Genet à l'Odéon-Théâtre de l'Europe dans une mise en scène de Bob Wilson

"Tous les hommes sont comme toi, Ils imitent. Ne pourrais-tu pas inventer autre chose ?"