Le Misanthrope ou l'atrabilaire amoureux de Molière : mise en scène de Clément Hervieu-Léger à La Comédie française (Salle Richelieu)

2de 3 et Option Théâtre de Terminales : mardi 6 mai 2014 à 20h30
Du 12 avril 2014 au 17 juillet 2014

Durée du spectacle : 2h50 avec entracte  
Mise en scène de Clément Hervieu-Léger

Scénographie : Eric Ruf
 
Eric Ruf, Philinte et Loïc Corbery, Alceste

"le Philinte d'Éric Ruf si noble, réservé, douloureux"

"Quant à Loïc Corbery, ombrageux cœur qui souffre, esprit qui se rebelle, paumé, contradictoire, il est exceptionnel."


 
Ce qui me touche particulièrement dans la mise en scène du Misanthrope de Clément-Hervieu-Léger comme du Dom Juan de Jean-Pierre Vincent : la jeunesse des "héros" incarnés tous deux sur la scène du "Français" par Loïc Corbery. LDL
 
Alceste aime Célimène, une jeune femme éprise de liberté, conduite, à la suite de son récent veuvage, à prendre les rênes de son salon. Hanté par un procès dont il redoute l’issue, Alceste se rend chez elle, accompagné de son ami Philinte auquel il reproche ses complaisances vis-à-vis de la société. Il souhaite que sa maîtresse se déclare publiquement en sa faveur. Mais c’est sans compter l’arrivée impromptue d’un gentilhomme poète faiseur de vers de mirliton, de deux marquis intronisés à la Cour, d’Éliante, la cousine de Célimène, qui a emménagé au-dessus de chez elle, et d’Arsinoé qui vient la mettre en garde contre des rumeurs circulant à son propos. Le Misanthrope donne à voir une société libérée de l’emprise parentale et religieuse, dont le vernis social s’écaille lorsque surgit le désir. Poussés à bout par la radicalité d’Alceste, prêt à s’extraire de toute forme de mondanité, les personnages dévoilent, le temps d’une journée, les contradictions du genre humain soumis à un cœur que la raison ne connaît point.


 
"Célimène est merveilleuse de sincérité, de subtilité. Georgia Scalliet en porte toutes les nuances." 



 Georgia Scalliet, Célimène

Distribution :
Eric Ruf : Philinte
Loïc Corbery : Alceste
Georgia Scalliet : Célimène
Yves Gasc : Basque
Serbe Bagdassarian : Oronte
Florence Viala : Arsinoé
Adeline d'Hermy : Eliante
Louis Arene : Acaste
Benjamin Lavernhe : Clitandre
Louis Arene : Acaste
Gilles David : Dubois

Élèves-comédiens :
Domestique : Heidi-Eva Clavier Domestique : Lola Felouzis Domestique : Pauline Tricot Garde : Matëj Hofmann Garde : Paul McAleer Un Domestique : Gabriel Tur Équipe artistique :
Mise en scène : Clément Hervieu-Léger
Assistante à la mise en scène : Juliette Léger
Scénographie : Eric Ruf
Assistante à la scénographie : Dominique Schmitt
Costumes : Caroline de Vivaise
Lumière : Bertrand Couderc
Musique : Pascal Sangla
Réalisation sonore : Jean-Luc Ristord
Création coiffures : Fabrice Elineau

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Clément Hervieu-Léger : comédien, danseur et metteur en scène

"Des comédiens qui applaudissent leur metteur en scène sur le plateau de la salle Richelieu un soir de générale, c'est du très rarement vu. Autrement dit, ils sont ­heureux. Rosissant, Clément Hervieu-Léger se sauve en coulisses tandis que la salle continue d'applaudir sous les pleins feux les dix comédiens et les six élèves comédiens du Français. [...]. Sans doute chacun est-il dans le même sentiment: une interprétation magnifique de la pièce, une distribution idéale, de la beauté, de l'émotion".

Clément Hervieu-Léger : metteur en scène du Misanthrope ou l'atrabilaire amoureux de Molière


"Cette modernité éclaboussante est tout à fait convaincante et l'on doit ici, d'abord, saluer l'intelligence du travail, l'écoute scrupuleuse du texte, la juste interprétation de chacun."
Le Figaro.fr


"Qu'on se rassure, le jeune metteur en scène ne joue pas seulement la note sombre. Il fait ressortir chaque intention, chaque vers."

"Dans l'intensité du jeu, la justesse des déplacements, on voit ce que le metteur en scène doit à Patrice Chéreau. Mais on pense aussi à Roger Planchon dans cette façon de clarifier les mots et de faire ressortir les enjeux sociaux"

Le Misanthrope réinventé, Philippe Chevilley (Les Echos – Art et Lifestyle)


Entré dans la troupe en 2005, Clément Hervieu-Léger est comédien et metteur en scène. En dehors de la Comédie-Française, il met en scène La Didone de Francesco Cavalli avec les Arts Florissants, sous la direction de William Christie, et L’Épreuve de Marivaux avec la compagnie des Petits Champs qu’il codirige depuis 2010. C’est après avoir mis en scène La Critique de l’École des femmes au Studio-Théâtre en 2011 que Clément Hervieu-Léger a souhaité monter Le Misanthrope, comédie versifiée en germe dans la pièce en prose. Fasciné par « le regard sociologique » que Molière porte sur les tensions d’un salon mondain en pleine restructuration, le metteur en scène entend explorer, par un « théâtre de l’incarnation », le Grand Siècle.


www.comedie-francaise.fr/spectacle-comedie-francaise

Il y a fort à parier pour que Clément Hervieu-Léger ne cesse de gagner en notoriété dans les années à venir. Il faut dire que ce jeune comédien a déjà un parcours qui impressionne. Passionné de théâtre bien décidé à en faire son métier, il entre au Conservatoire de Paris en 1996. Moins de dix ans plus tard, et après avoir déjà joué sur de nombreux théâtre, le jeune homme entre à la Comédie Française en tant que pensionnaire.

Depuis, Clément Hervieu-Léger n'a cessé de jouer les plus grands rôles, dans les classiques du théâtre français, et côtoyé de nombreux grands noms du théâtre : Muriel Mayette, Jean-Pierre Vincent, Lukas Hemleb, Robert Wilson, Andrzej Seweryn.

Fort de son expérience au théâtre, Clément Hervieu-Léger a commencé à s'attaquer à la mise en scène, en travaillant notamment sur "L'École des femmes" de Molière, au Studio-Théâtre, ou encore l'Epreuve de Marivaux. A chaque fois, ce jeune artiste a su captiver l'assemblée et surprendre ses pairs. Cette étoile montant du théâtre français risque bien de faire parler d'elle par la suite...


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Des comédiens qui applaudissent leur metteur en scène sur le plateau de la salle Richelieu un soir de générale, c'est du très rarement vu. Autrement dit, ils sont ­heureux. Rosissant, Clément Hervieu-Léger se sauve en coulisses tandis que la salle continue d'applaudir sous les pleins feux les dix comédiens et les six élèves comédiens du Français. [...]. Sans doute chacun est-il dans le même sentiment: une interprétation magnifique de la pièce, une distribution idéale, de la beauté, de l'émotion [...].

Dans la vaste salle d'un hôtel particulier un peu décati, avec deux escaliers qui montent aux étages, un qui descend, de hautes fenêtres (superbe scénographie par Eric Ruf), on est immédiatement dans une atmosphère particulière que creusent les lumières de Bertrand Couderc. L'action est transposée de nos jours. Les costumes seyants de Caroline de Vivaise en témoignent et l'homme aux rubans verts, Alceste, porte une gabardine doublée d'un vert mousse.

Le cercle huppé du salon

Cette modernité éclaboussante est tout à fait convaincante et l'on doit ici, d'abord, saluer l'intelligence du travail, l'écoute scrupuleuse du texte, la juste interprétation de chacun avec des sommets époustouflants que ce soit l'Oronte de Serge Bagdassarian inventif et tellement humain, le Philinte d'Éric Ruf si noble, réservé, douloureux, la belle Arsinoé de Florence Viala, la fine et tendre Éliante d'Adeline D'Hermy. Les marquis, Louis Arène, Acaste, et Benjamin Lavernhe, Clitandre, sont tout à fait bien, efficaces dans le ridicule comme dans l'indignation. Gilles David est épatant en Du Bois affolé et Yves Gasc, debout, immobile, canne à la main, est comme la flamme de cette belle maison
[...] Clément Hervieu-Léger anime la maisonnée: un garçon, trois filles. Elles vont et viennent en gouvernantes pirandelliennes [...].
Célimène est merveilleuse de sincérité, de subtilité. Georgia Scalliet en porte toutes les nuances. Quant à Loïc Corbery, ombrageux cœur qui souffre, esprit qui se rebelle, paumé, contradictoire, il est exceptionnel.

Le Figaro.fr


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Le Misanthrope réinventé, Philippe Chevilley (Les Echos – Art et Lifestyle)


"Ce temps délié, ralenti, dans lequel sont exacerbés les sentiments humains - et d'abord cet irrépressible élan amoureux qui rapproche deux êtres aussi différents qu'Alceste et Célimène. Hervieu-Léger orchestre un genre de tango mortel entre les deux héros : Loïc Corbery et Georgia Scalliet, beaux, sensuels, héroïques, inoubliables. "

Entre Alceste (Loïc Corbery) et Célimène (Georgia Scalliet), sensuels et héroïques, le metteur en scène orchestre un genre de tango mortel. - Photo Pascal Victor/ArtComArt

Le salon a des allures fantomatiques, avec ses meubles recouverts de draps et son lustre au sol, sa tuyauterie et ses fils électriques apparents. Pour le rire, la fête, il faudra attendre… « Le Misanthrope » mis en scène par Clément Hervieu-Léger à la Comédie-Française démarre avec une lenteur calculée - toute la colère « noire », la déprime d'Alceste s'expriment dans cette première scène étirée à l'envi où il s'oppose à son ami Philinte. Loïc Corbery sera un Misanthrope extrême, sans concession. Son désespoir crée une sorte de silence glacé dans la salle Richelieu, tandis que Philinte (Eric Ruf, au jeu sobre et prégnant) essaie de le raisonner.
Qu'on se rassure, le jeune metteur en scène ne joue pas seulement la note sombre. Il fait ressortir chaque intention, chaque vers. Après nous avoir confrontés à la mélancolie d'Alceste, il nous fait rire avec la fatuité d'Oronte (Serge Bagdassarian, une fois encore irrésistible), nous charme avec la folle gaieté de Célimène (Georgia Scalliet), nous amuse en moquant la préciosité des jeunes hommes de cour. Même les scènes les plus ardues sont orchestrées avec brio - celle des petits marquis grimés en dandys de velours ; celle d'Arsinoé (Florence Viala en redoutable « cougar » bcbg)… 

Les comédiens sont en habits d'aujourd'hui, mais la transposition n'a rien de forcé. La comédie de Molière semble plus que jamais défier le temps. Ce temps délié, ralenti, dans lequel sont exacerbés les sentiments humains - et d'abord cet irrépressible élan amoureux qui rapproche deux êtres aussi différents qu'Alceste et Célimène. Hervieu-Léger orchestre un genre de tango mortel entre les deux héros : Loïc Corbery et Georgia Scalliet, beaux, sensuels, héroïques, inoubliables.

La troupe à son acmé

Dans l'intensité du jeu, la justesse des déplacements, on voit ce que le metteur en scène doit à Patrice Chéreau. Mais on pense aussi à Roger Planchon dans cette façon de clarifier les mots et de faire ressortir les enjeux sociaux : l'insouciance, l'arrogance de ces jeunes nobles salonnards, tandis qu'autour s'agite une armada de serviteurs.
Le dernier acte, qui signe l'acte de mort sociale d'Alceste, mais aussi de Célimène, est bouleversant. Le salon, vide désormais, se teinte de lumières crépusculaires. Les mots se bousculent, s'étranglent. La solitude emporte tout. Stimulée par un des metteurs en scène les plus prometteurs de sa génération, la troupe du Français, à son acmé, vient de réinventer « Le Misanthrope ».
Philippe Chevilley

Tartuffe ou l'Imposteur de Molière : création de Luc Bondy aux Ateliers Berthier (17ème) : 20 h


"Tartuffe, ce personnage en creux, qui joue avec les fantasmes et les failles des autres"
"Micha Lescot, comédien de belle envergure", Fabienne Darge, Le Monde, vendredi 28 mars 2014



"Luc Bondy déplace le champ du regard avec son "Tartuffe" :
titre de l'article de Brigitte Salino, "Le Monde", vendredi 28 mars 2014

"Entretemps, tous nous auront offert de la vie, dans l'intelligence de l'instant du théâtre. Et cela, grâce aux acteurs. Vous verrez comme ils font aimer ce Tartuffe."
Brigitte Salino (ibid)

avec Gilles Cohen, Lorella Cravotta, Léna Dangréaux, Victoire Du Bois, Françoise Fabian, Jean-Marie Frin, Laurent Grévill, Clotilde Hesme, Yannik Landrein, Micha Lescot, Yasmine Nadifi, Fred Ulysse, Pierre Yvon 

Une exploration des mécanismes intimes, familiaux et sociaux qui rendent possible le succès de l’imposture, tout en nous mettant sous les yeux, entre farce et terreur, le portrait génial d’un incroyable aveuglement.


"Le scandale du monde est ce qui fait l'offense,
Et ce n'est pas pécher que pécher en silence."
Tartuffe ou l'Imposteur de Molière,  Acte IV, scène 5

Quelle mouche a piqué ce bon monsieur Orgon ? Et qu'est-ce donc qui irrite à ce point madame Pernelle, sa vénérable mère ? Car elle est furieuse et le fait savoir. D'Elmire, sa nouvelle belle-fille, jusqu'à ses petits-enfants et à la fidèle servante Dorine, tout le monde en prend pour son grade. Tous, à en croire la mégère, tous sans exception sont pourris de vices bien peu chrétiens. Pire encore, ils se refusent à reconnaître les vertus du bon Tartuffe et à profiter des conseils du saint homme...


Mais au fait, qui est-il, ce monsieur Tartuffe ? Que veut-il, que vaut-il ? Remontant des effets à la cause, Molière retarde son entrée jusqu'au début de l'acte III et nous le présente d'abord à travers les jugements contradictoires de toute une maisonnée, puis au moyen des bouleversements qu'il provoque chez Orgon. Depuis leur rencontre, la piété du père de famille est devenue fanatisme, et son amitié pour Tartuffe a tout d'une passion. Comment donc Orgon, aliéné et comme dévoré de l'intérieur par un effroyable parasite, a-t-il pu succomber à une telle emprise, jusqu'à faire don de tous ses biens et vouloir livrer sa propre fille à un inconnu rencontré par hasard quelques semaines plus tôt ? Et jusqu'où devra aller Elmire pour lui ouvrir les yeux ?

Il y a peu, Luc Bondy a signé l'adaptation d'un Tartuffe en version allemande dont l'épaisseur balzacienne et la vivacité digne de Lubitsch ont fait l'un des grands succès du printemps 2013 à Vienne. Il revient aujourd'hui à l'original pour explorer les mécanismes intimes, familiaux et sociaux qui rendent possible le succès de l'imposture, tout en nous mettant sous les yeux, entre farce et terreur, le portrait génial d'un incroyable aveuglement.



 "Il n'y a plus de honte maintenant à cela : l'hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour vertu."
Dom Juan de Molière, V, 2


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Pour accompagner le spectacle Tartuffe mis en scène par Luc Bondy, présenté du 26 mars au 6 juin 2014 aux Ateliers Berthier 17e,  une série de documents - articles, vidéos, images, interviews -

sur Pearltrees, accessible à l'adresse suivante:



TARTUFFE DE 3 À 5
Une première version de Tartuffe (qui selon certaines sources s'intitulait L'Hypocrite) a été créé à Versailles le soir du 12 mai 1664 dans le cadre des trois journées de fête qui composaient Les Plaisirs de l'île enchantée. Louis XIV semble avoir apprécié la comédie, qui compte alors trois actes. Moins de quarante-huit heures plus tard, il fait cependant savoir à Molière qu'il n'en autorise pas la représentation publique. Il ne s'oppose pas pour autant à des lectures privées, auxquelles il lui arrive même d'assister (par exemple chez Monsieur, frère unique du roi et protecteur officiel de la troupe de Molière, qui la fait jouer à Villers-Cotterêts fin septembre 1664). Ce premier Tartuffe est représenté une dernière fois au château de Raincy le 29 novembre, en présence du prince de Condé. Molière a-t-il déjà entrepris de retravailler sa pièce ? Un an plus tard, toujours à Raincy, il semble bien que le Grand Condé ait assisté à une version en quatre actes. Mais il faut attendre le 5 août 1667 pour que soit créée au Palais-Royal, sous le titre de L'Imposteur, une comédie en cinq actes dont le héros, rebaptisé Panulphe, n'est plus un dévot mais un «homme du monde» se faisant hypocritement passer pour tel.
Il est impensable que ce Tartuffe remanié ait été donné au public sans l'aval de Louis XIV (qui peut en avoir découvert les «adoucissements» – le terme est de Molière – vers la mi-juillet, au cours d'une représentation privée). Mais au lendemain de la première, coup de théâtre : alors que le roi est retenu loin de Paris par le siège de Lille, le premier président du Parlement de Paris fait interdire L'Imposteur. Et moins d'une semaine plus tard, avant que le souverain ait pu répondre favorablement au placet que le dramaturge lui a aussitôt adressé, l'archevêque de Paris en prohibe à son tour toute représentation ou lecture, privée ou publique, sous peine d'excommunication. Le Tartuffe définitif, le seul dont nous possédions le texte, est finalement créé le 5 février 1669. Le prototype de 1664 a disparu. Malgré l'absence de documents, les érudits se sont employés à reconstituer son aspect à partir des polémiques qu'il a suscitées, de quelques allusions de Molière lui-même dans ses placets, et d'indices dramaturgiques. Quelques années après la mort de Molière, ses proches tentèrent d'accréditer une pieuse légende : le premier Tartuffe aurait été une œuvre encore inachevée dont seuls les trois premiers actes furent présentés au roi. Les représentations publiques de la pièce n'auraient donc pas été interdites mais simplement ajournées sur ordre de Louis XIV, «jusqu'à ce qu'elle fût entièrement achevée et examinée par des gens capables d'en juger». Michelet fut le premier à mettre en doute cette version des faits quelque peu invraisemblable et à supposer que seule une comédie complète en trois actes avait pu être représentée en 1664.  L'examen de la structure du Tartuffe de 1669 confirme cette hypothèse. L'acte II, qui forme un intermède quasiment  indépendant du reste de l'action, s'organise autour d'un type de scène dont  Molière était familier : le «dépit amoureux». Quant à l'acte V, il repose tout  entier sur un ultime rebondissement qui ne fait que retarder la défaite définitive de l'imposteur démasqué. Restent les  actes I, II et IV. À quelques détails près, il s'avère qu'ils constituent un tout cohérent du point de vue dramaturgique, et   qui ne manque pas d'antécédents romanesques ou théâtraux dans la littérature médiévale ou la commedia dell'arte : «(I) un mari dévot accueille chez lui un homme qui semble l'incarnation de la plus parfaite dévotion ; (II) celui-ci, tombé amoureux de la jeune épouse du dévot, tente de la séduire, mais elle le rebute tout en répugnant à le dénoncer à son mari qui, informé par un témoin de la scène, refuse de le croire ; (III) la confiance aveugle de son mari pour le saint homme oblige alors sa femme à lui démontrer l'hypocrisie du dévot en le faisant assister caché à une seconde tentative de séduction, à la suite de quoi le coupable est chassé de la maison»*.
On l'aura noté, Mariane n'a pas de rôle à jouer dans une telle histoire. En donnant une sœur à Damis et une fille à Orgon (lequel peut dès lors songer à lui faire épouser Tartuffe), Molière ne s'est pas seulement ménagé un élément d'intrigue pour son acte II : il a aussi transformé le caractère de son protagoniste. En 1664, Tartuffe devait être un dévot véritable, d'une stricte chasteté ; son hypocrisie n'était pas un choix stratégique préalable mais un masque adopté à la suite de sa rencontre avec Elmire, une attitude que lui imposait son incapacité à résister aux tentations de la chair. En 1667, en revanche, Panulphe devait déjà  présenter l'aspect du Tartuffe que nous  connaissons : loin d'être un croyant sincère que sa faiblesse contraint à jouer  la comédie, il est désormais un aventurier arriviste et tout à fait disposé à épouser la fille de son protecteur pour  parvenir à ses fins. La modification du titre, de L'Hypocrite à L'Imposteur, souligne donc que la conception même du personnage a changé, ce que l'acte V achève de mettre en relief : Tartuffe n'est qu'un «fourbe renommé», un ambitieux sans scrupules pour qui la religion n'est qu'un déguisement – un impie d'autant plus dangereux pour les familles, pour l'état et pour l'église qu'il se couvre des apparences de la piété.
Daniel Loayza, 22 janvier 2014

* Alain Riffaud et Georges Forestier : «Le Tartuffe, ou l'Imposteur : notice», in Molière : œuvres complètes, Gallimard, coll. de la Pléiade, 2010, t. II, p. 1375. Nous empruntons toutes nos informations à ces auteurs.

 


"Luc Bondy déplace le champ du regard avec son "Tartuffe" :
titre de l'article de Brigitte Salino, "Le Monde", vendredi 28 mars 2014

"Entretemps, tous nous auront offert de la vie, dans l'intelligence de l'instant du théâtre. Et cela, grâce aux acteurs. Vous verrez comme ils font aimer ce Tartuffe."