Qui est Tartuffe ?

Le Tartuffe ou L'Imposteur (1664 – 1669)
COMEDIE de Molière
Synthèse sur le personnage de Tartuffe
Un hypocrite, un faux dévot, un imposteur (à la fois escroc et vil séducteur)

Cf. Narcisse (Iago)
Problématiques : elles sont liées à la censure de la pièce en 1664 (Dom Juan est censuré en 1665)
Tartuffe est-il un personnage éponyme ridicule ou inquiétant ? plus inquiétant que ridicule
La pièce ne dénonce-t-elle que le personnage de Tartuffe par le biais de la catharsis ? non
Quel est le personnage le plus ridicule ? Orgon
Tartuffe est-il ridiculisé par la "vis comica" ? peu, compte tenu du fait qu'il est le "héros" éponyme
de la comédie (cf. fiche sur le comique : III, 2 ; III, 3 ; IV, 5 ; V, 7 : "Qui? moi, monsieur? ")
/ Les vrais dévots ne peuvent-ils pas se sentir visés par la condamnation des faux dévots ? cf. "La
querelle du Tartuffe et la préface de Molière
A quel autre personnage de Molière Tartuffe peut-il être comparé ? Dom Juan dans Dom Juan, V, 2
Est-il vrai qu'il suffise de changer le dénouement de certaines comédies de Molière pour qu'elles
deviennent des tragédies ? Non, mais certaines comédies sont proches de la tragédie (de + Tartuffe
se prétend gentilhomme, II, 2)
Quelles sont les hautes comédies de mœurs et de caractère proches de la tragédie ? Le Tartuffe
(1664 – 1669), Dom Juan (1665), Le Misanthrope (1665)
Quel rapport existe-t-il entre ces trois pièces ? Elles ont été écrites entre 1664 et 1665
et les personnages éponymes sur lesquels porte le blâme sont complexes, énigmatiques, et plus
inquiétants que ridicules. Ils sont tous trois victimes de l'hybris, à l'instar du héros tragique.

La querelle du Tartuffe (censuré en 1664 et réécrit en 1669) :
Le dessein de Molière a changé de 1664 à 1669. Les trois actes de 1664 avaient pour but de faire rire aux dépens d'un naïf, d'un bigot ridicule, Orgon, qui hébergeait chez lui un directeur de conscience paillard. A cause des dévots qui se sont récriés, Molière a fait de cette pièce une arme redoutable contre un parti : "la cabale". Le personnage central n'est plus Orgon, la dupe, mais le dupeur : c'est l'état civil de Tartuffe qui nous est dévoilé à l'acte V. Molière a trouvé un autre motif, plus polémique encore : celui de la différence entre vrais et faux dévots. Le Tartuffe est devenu un réquisitoire contre les faux-monnayeurs. A travers cette farce développée en grande comédie (comédie de caractère et comédie de mœurs), Molière combat l'hypocrisie et le fanatisme (les faux dévots, les pharisiens et les rigoristes). Il a créé un type, une essence de l'hypocrisie, presque une caricature pour combattre une aberration mentale, la bigoterie, la dévotion excessive, l'impérialisme de la foi, l'intolérance. Il collabore à l'œuvre d'assainissement entreprise par le roi.

La Compagnie du Saint-Sacrement est bien visée par Le Tartuffe et par Dom Juan sous le nom de "cabale". Le prince de Conti entreprit une campagne de protestation contre le théâtre. C'est elle qui fit interdire Le Tartuffe. Les Jésuites au contraire aimaient le théâtre et n'attaquaient pas les comédiens. Rien n'interdit de penser que La Compagnie avait fait siennes les doctrines casuistes et en faisaient un usage plus fréquent que les Jésuites eux-mêmes (cf, Le Tartuffe, III, 3 : les argument spécieux de Tartuffe dans sa déclaration à Elmire)
 On cite parmi les modèles supposés de Tartuffe : le comte de Bracas, l'abbé Roquette (l'évêque d'Autun dont la réputation était déplorable : à l'époque de Tartuffe, l'opinion générale fut que Molière l'avait visé dans sa pièce. La Bruyère en fait le portrait à travers le personnage de Théophile dans ses Caractères, "Des Grands", 15 ; il fait également le portrait d'un hypocrite dans "De la Cour", 62) et Charpy de Sainte-Croix qui abusa de la confiance de Mme Hansse en courtisant la fille de cette dernière avec la bénédiction de M. Patrocle son époux qui trouvait bon qu'un saint homme s'intéresse à sa femme. Charpy qui s'était impatronisé chez sa protectrice comme Tartuffe chez Orgon n'a jamais été démasqué… Il est curieux de noter que ces gens-là étaient des voisins de Molière !

La Préface de Molière (1669) : Molière se défend contre l'accusation d'impiété qui lui est faite par la "cabale". Il explique qu'il a voulu défendre les vrais dévots (les "dévots de cœur") en apprenant aux spectateurs à les distinguer des faux dévot par le biais de la catharsis.
"C'est aux vrais dévots que je veux partout me justifier sur la conduite de ma comédie; et je les conjure de tout mon cœur de ne point condamner les choses avant que de les voir, de se défaire de toute prévention et de ne point servir la passion de ceux dont les grimaces les déshonorent.
Si l'on prend la peine d'examiner de bonne foi ma comédie, on verra sans doute que mes intentions y sont partout innocentes, et qu'elle ne tend nullement à jouer les choses que l'on doit révérer, que je l'ai traitée avec toutes les précautions que demandait la délicatesse de la matière, et que j'ai mis tout l'art et tous les soins qu'il m'a été possible pour bien distinguer le personnage de l'hypocrite d'avec celui du vrai dévot. Il ne tient pas un seul moment l'auditeur en balance; on le connaît d'abord aux marques que je lui donne; et d'un bout à l'autre il ne dit pas un mot, il ne fait pas une action qui ne peigne aux spectateurs le caractère d'un méchant homme, et ne fasse éclater celui du véritable homme de bien que je lui oppose.
Il rapporte à la fin de cette préface l'étonnement du roi devant la tolérance des détracteurs du Tartuffe de Molière à l'égard d'une comédie italienne sur le même sujet , Le Tartuffe de Scaramouche ermite et la réponse du Prince :
"Je voudrais bien savoir pourquoi les gens qui se scandalisent si fort de la comédie de Molière ne disent mot de celle de Scaramouche." A quoi le Prince répondit : "La raison de cela, c'est que la comédie de Scaramouche joue le Ciel et la religion, dont ces messieurs-là ne se soucient point ; mais celle de Molière les joue eux-mêmes : c'est ce qu'ils ne peuvent souffrir."
N'est-ce pas un paradoxe ? Comment le comprenez-vous ?

Le comique du personnage de Tartuffe ("Castigat ridendo mores", devise de Molière empruntée à la Commedia dell'arte)

LE COMIQUE DE CARACTERE + LE COMIQUE DE MOTS ET DE GESTES :
III, 2 : entrée en scène de l'imposteur ("Couvrez ce sein que je ne saurais voir" ; "Hélas! très volontiers" )

LE COMIQUE DE SITUATION :
III, 3 (6) et IV, 5 : l'ironie dramatique (mise en abyme) ; V, 2 : le retournement de situation

Tartuffe était joué par Du Croissy : grand, de belle prestance, plein d'embonpoint. Personnage sérieux sur qui tombe rarement le ridicule, il est cependant dans des situations qui font rire. Tartuffe est énigmatique et c'est sur son interprétation que se sont le plus divisés les comédiens. "C'est un triomphe de l'art que de maintenir le ton comique autour de cette figure de drame". On a souvent commis le contresens de voir en lui quelqu'un de maigre, c'est au contraire un être qui respire la santé. Si l'on en croit Dorine, "il porte le masque de la religion pour masquer sa sensualité". Le paradoxe pernicieux vient précisément du fait que cet être de chair passe pour un être désincarné., alors qu'il est "gros et gras, le teint frais et la bouche vermeille".
"Ah! Pour être dévot, je n'en suis pas moins homme;
Et lorsqu'on vient à voir vos céleste appas,
Un cœur se laisse prendre, et ne raisonne pas.
Je sais qu'un tel discours de moi paraît étrange;
Mais, madame, après tout, je ne suis pas un ange.
/… Mais les gens comme nous brûlent d'un feu discret,
Avec qui pour toujours on est sûr du secret:
Le soin que nous prenons de notre renommée
Répond de toute chose à la personne aimée
Et c'est en nous qu'on trouve, acceptant notre cœur,
De l'amour sans scandale et du plaisir sans peur." (Tartuffe, Molière, III, 3)

Orgon était joué par Molière. C'était lui le "plaisant" de la comédie initiale (comique de caractère, I, 4 : "Le pauvre homme !") mais le personnage est devenu plus inquiétant dans la seconde version de la comédie : l'homme déraisonnable qui raisonne dans la déraison, (le contraire de "l'honnête homme" incarné par Cléante ) est devenu un fanatique doublé d'un tyran domestique :
"Ah! Je vous brave tous, et vous ferai connaître
Qu'il faut qu'on m'obéisse et que je suis le maître" (Tartuffe, Molière, III, 7)  Britannicus, Racine (dominé par sa mère)
Elmire, jouée par Armande Béjart, est le plus sympathique des personnages féminins de Molière, et le personnage le plus irréprochable de la pièce. Elle incarne en quelque sorte "l'honnête homme" au féminin.
Dorine était jouée par Madeleine Béjart. Elle est un contrepoint ironique à l'imposteur et au tyran domestique. Elle sauve la comédie par l'ironie et le comique de mots ("Non, vous serez, ma foi! tartuffiée." , II, 4 ; "Et je vous verrais nu du haut jusques en bas, / Que toute votre peau ne me tenterait pas.", III, 2)

Arguments et exemples pour la dissertation :

Les héros de la littérature sont-ils toujours exemplaires ? Exemple pour l'antithèse : Tartuffe n'est pas un héros exemplaire
Le théâtre :
I. Divertissement : le comique, l'intrigue, la complexité des personnages, la représentation (l'ironie dramatique favorisée par la
double énonciation théâtrale : III, 3 et IV, 5), cf. sujets 3 et 4
Education civique et morale : les défauts des personnages dénoncés par le comique de caractère, l'hybris, les valeurs mises
en cause par le biais de la catharsis : le théâtre = microcosme de la société, le théâtre = "champ de forces" (cf. sujet 2);
l'évolution du théâtre depuis le siècle dit "classique" (cf. sujet II)

Document complémentaire : Dom Juan, V, 2 (-->le personnage de Franz dans Les Brigands de Schiller, 1781)
"Il n'y a plus de honte maintenant à cela : l'hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour vertus. Le personnage d'homme de bien est le meilleur de tous les personnages qu'on puisse jouer aujourd'hui, et la profession d'hypocrite a de merveilleux avantages.C'est un art de qui l'imposture est toujours respectée; et quoiqu'on la découvre, on n'ose rien dire contre elle. Tous les autres vices des hommes sont exposés à la censure, et chacun a la liberté de les attaquer hautement; mais l'hypocrisie est un vice privilégié, qui, de sa main, ferme la bouche à tout le monde, et jouit en repos d'une impunité souveraine. On lie, à force de grimaces, une société étroite avec tous les gens du parti. Qui en choque un, se les jette tous sur les bras; et ceux que l'on sait même agir de bonne foi là-dessus, et que chacun connaît pour être véritablement touchés, ceux-là, dis-je, sont toujours les dupes des autres; ils donnent hautement dans le panneau des grimaciers, et appuient aveuglément les singes de leurs actions. Combien crois-tu que j'en connaisse qui, par ce stratagème, ont rhabillé adroitement les désordres de leur jeunesse, qui se sont fait un bouclier du manteau de la religion , et, sous cet habit respecté, ont la permission d'être les plus méchants hommes du monde ? On a beau savoir leurs intrigues et les connaître pour ce qu'ils sont, ils ne laissent pas pour cela d'être en crédit parmi les gens; et quelque baissement de tête, un soupir mortifié, et deux roulements d'yeux rajustent dans le monde tout ce qu'ils peuvent faire. C'est sous cet abri favorable que je veux me sauver, et mettre en sûreté mes affaires. Je ne quitterai point mes douces habitudes; mais j'aurai soin de me cacher et me divertirai à petit bruit. Que si je viens à être découvert, je verrai, sans me remuer, prendre mes intérêts à toute la cabale, et je serai défendu par elle envers et contre tous.Enfin c'est là le vrai moyen de faire impunément tout ce que je voudrai. Je m'érigerai en censeur des actions d'autrui, jugerai mal de tout le monde, et n'aurai bonne opinion que de moi. Dès qu'une fois on m'aura choqué tant soit peu, je ne pardonnerai jamais et garderai tout doucement une haine irréconciliable. Je ferai le vengeur des intérêts du Ciel, et, sous ce prétexte commode, je pousserai mes ennemis, je les accuserai d'impiété, et saurai déchaîner contre eux des zélés indiscrets*, qui, sans connaissance de cause, crieront en public contre eux, qui les accableront d'injures, et les damneront hautement de leur autorité privée. C'est ainsi qu'il faut profiter des faiblesses des hommes, et qu'un sage esprit s'accommode aux vices de son siècle." *indiscrets = sans discernement (comme Orgon aveuglé par son fanatisme religieux)

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I 4

Quel est l'intérêt dramatique de cette scène ?


Mouvement et dramaturgie :
Une scène qui se situe en fin d'acte et qui obéit aux nécessités de l'exposition.
Une scène qui révèle une famille divisée, ce qui constitue une situation dramaturgiquement forte : le théâtre repose en effet sur le conflit.
Une entrée retardée du personnage, ce qui est conforme à l'esthétique classique ; dans le cas de Tartuffe, le procédé est amplifié ; il faudra attendre l'acte III pour voir le personnage sur scène; cette attente crée un mystère, amplifié par l'addition des traits contradictoires qui composent ce portrait.
Une scène de dialogue qui fait suite à une scène de mouvements, conformément au principe d'alternance cher à la dramaturgie moliéresque.


"Amant alternae Camenae"



Techniques de redoublements :


Tartuffe se révèle un personnage double ; cette dualité est renforcée par :
l'absence du personnage; personnage physuquement absent, Tartuffe est présent dans le discours des autres;
des points de vue divergents sur lui
des oppositions qui menacent une famille

Tartuffe/Orgon :
dans cette scène nous voyons apparaître la manifestation de l'amitié endtre deux hommes;
cette fraternité s'inscrit dans une forme passionnelle
la disparité sociale -- Orgon est socialement supérieur à Tartuffe -- est inversée dans la relation religieuse

Tartuffe/Elmire :
une opposition homme/femme
une opposition femme malade/homme bien portant
une opposition dans la manifestation des appétits : voracité alimentaire/ perte d'appétit

Le comique, la construction du blâme :

Le dialogue met les actes de la vie quotidienne en scène ; rappelons que les règles du théâtre classique interdisent le boire, le manger, le dormir... Toutefois, nous sommes dans une comédie, ce qui autorise une certaine trivialité. Le blâme vient de la rupture de ton : un dévot appelle un ton noble et un traitement déférent ; en usant du comique de farce, Molière s'inscrit immédiatement dans le traitement distancié et critique du personnage.

La situation est aussi scabreuse ou du moins inconvenante : un mari ayant une jeune épouse rentre de voyage ; il ne se soucie guère d'elle et limite ses préoccupations et ses inquiétudes à son ami ; la scène joue sur le comique de situation, mais également sur les implicites.

La passion d'Orgon est la cause première de son aveuglement ; cette monomanie est constitutive du comique de caractère.

La scène est construite sur un rythme alerte et sur la répétition appuyèe de certaines formules passées à la postérité ("Et Tartuffe ? Le pauvre homme"); tous les ingrédients du comique de mots sont présents.

La scène construit un portrait charge de Tartuffe à travers la critique d'une servante, mais également à travers l'éloge excessif d'un ami. Les deux formes majeures de l'épidictique sont convoquées.