La Cerisaie, Anton Tchekhov : mercredi 29 septembre – 20 h – Théâtre de l'Odéon (VIème)











Une mise en scène de Julie Brochen, Directrice du Théâtre National de Strasbourg depuis 2008

(Directrice du théâtre de L'Aquarium depuis 2002)



Note d’intention de Julie Brochen :
(décembre 2009)

«Il souffle un vent terrible. Ce n’est qu’un petit trou dans ma poitrine, mais il y souffle un vent terrible…
À l’heure où les idées comme des boucs, sont dressées les unes contre les autres, à l’heure où le
monde est tout drapeau, je veux vous proposer un voyage dans l’espace du dedans. Au centre de l’être
se dresse un champ qui contient tous les autres…
Derrière la croûte des choses et des êtres apparaît l’indicible et le mystère. Il rêvait, puis il se réveilla en
éclatant de rire, c’était trop sérieux.»

Henri Michaux

La «Tchekhovie» est un pays à la fois lointain et proche, une lande affective, loin de Moscou,
comme un vestibule sans fin, bordé de forêts, de lacs et de cerisaies. On y croise, autour d’un samovar, d’un bureau, d’une chambre aménagée à la diable dans un salon ou sous une véranda,
des personnages entre deux chaises qui, généralement, attendent quelque chose (le thé, le visage
aimé, la fin de la journée ou de la nuit, l’heure de partir sans cesse différée, le courrier…) ; je
suis entrée en «Tchekhovie» avec Alexandre Kaliaguine et Anastasia Vertinskaia. En France,
face à un metteur en scène, le comédien part du vide et se remplit petit à petit ; eux nous demandaient de partir pleins, chargés, de jouer avant d’entrer en scène. Ils nous disaient : «Ne faites pas de théâtre, n’entrez en scène que si vous avez besoin d’y faire quelque chose.» Ils nous disaient : «Ne montrez pas que vous souffrez, mais montrez que vous voulez vous débarrasser de votre douleur.» Ils nous disaient : «Il ne faut pas pleurer mais retenir les larmes». Un jour, je jouais Nina dans La Mouette et je me sentais perdue, Kaliaguine m’a dit : «en France vous faites des soldes, c’est comme cela que tu dois jouer : tout ce qui est beau, tu dois le vendre au rabais, c’est après que la beauté apparaît ». Si on m’avait dit de ne pas jouer de façon romantique, je n’aurais rien compris, mais ils parlaient du vent qui fait mal, de la petite ville d’Eletz où Nina va jouer et où les comédiens soviétiques préfèrent annuler des contrats plutôt que de s’y produire. Ils parlaient ainsi et c’était lumineux. Tchekhov est une question. Oncle Vania a ouvert pour moi la voie de la mise en scène, du désir et de la peur partagés de mettre en scène La Cerisaie. En montant L’Histoire vraie de la Périchole, adaptation théâtrale de La Périchole d’Offenbach pour le festival d’Aix-en-Provence, j’apprends interloquée que La Cerisaie était présentée à Moscou au même moment où Offenbach et sa Périchole triomphaient à Paris. Un spectateur de l’époque pouvait, en reliant les deux villes en train, assister aux deux oeuvres qui semblent pourtant si éloignées l’une de l’autre. J’ai pensé La Cerisaie 22 sept. – 24 oct. 2010 10 alors les rapprocher. Il s’agissait d’assombrir La Périchole de La Cerisaie déjà au travail en moi et aujourd’hui de retrouver ce que Tchekhov appelle «comédie», l’humour et la lumière de La Cerisaie dans le souvenir commun de notre Périchole.

À cela sont venues s’ajouter deux histoires importantes : la première est l’exposition de l’oeuvre
de Charlotte Salomon confiée par les Pays-Bas au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme, dans
le Marais à Paris. Le choc de ces gouaches et le récit de la vie et de la déportation de cette jeune
juive polonaise vivant en Allemagne a occasionné une réflexion qui nourrit La Cerisaie. Le retour,
puis le départ de Lioubov vécu comme absolu et définitif, me renvoient, dans l’acte III, à la question de la présence de l’orchestre juif. En effet il ne s’agit pas, comme dans Oncle Vania, de la seule vente d’une maison, d’une magnifique propriété. Il s’agit pour moi d’un héritage plus important, plus encombrant. Que fait-on de cette mémoire vivante : les maisons, les affaires des
familles de déportés, que fait-on des peintures de Charlotte Salomon confiées juste avant son
depart pour Auschwitz ; comment hériter et vendre un cimetière ? Pour vivre le présent, peut-on oublier ? Kertész affirme que la notion d’humanité a été brûlée elle aussi pour lui dans les camps ; comment peut-on vivre aujourd’hui sans elle ?

La deuxième histoire me vient de la thèse de Françoise Balibar sur Einstein. Il s’agit d’un souvenir d’enfance relaté par la soeur aînée d’Einstein : lui avait cinq ans, elle était un peu plus âgée, tous deux assistent une après-midi entière à l’abattage des arbres de la propriété familiale. Le petit garçon pleure en silence, le nez collé à la vitre. Le fait que je retiens est que cette grande
soeur a toujours relié ce souvenir précis aux recherches sur la scission atomique et sur la bombe
de son frère. Tout cela fonde la nécessité pour moi aujourd’hui de monter La Cerisaie de Tchekhov avec la nouvelle permanence artistique du TNS.

Julie Brochen, décembre 2009

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Tchekhov lisant La Mouette devant sa troupe de comédiens



La Cerisaie, Anton Tchekhov : mercredi 29 septembre – 20 h – Théâtre de l'Odéon

Mise en scène de Julie Brochen

Répétitions de La Cerisaie
Tchekhov / Brochen / TNS
©FranckBeloncle

avec Jeanne Balibar dans le rôle de Loubiov et Jean-Louis Coulloc'h dans le rôle de Lopakhine

(au cinéma, il est le garde-chasse Parkin dans Lady Chatterley de Pascale Ferran)