Das Weisse vom Ei (Une île flottante de Labiche) : mise en scène de Christoph Marthale


Rendez-vous à 20h au Théâtre de l'Odéon, VIème : mercredi et jeudi 11 et 12 mars à partir de 19h30

(durée : 2h20) 


"Chez l'imprévisible Labiche revu par Marthaler n'y a pas que les horloges qui soient déréglées"...

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"Eh bien, et ce client ?
– Ah ! Que tu es curieuse !... C'est un cocher de la maison qui a reçu un coup de pied de cheval... Là
– Un cocher ?... Mon compliment !... Demain, on viendra te chercher pour le cheval." 

 


"Chez l'imprévisible Labiche revu par Marthall n'y a pas que les horloges qui soient déréglées"...

Il suffit d'un dialogue repris da capo comme un air d'opéra pour qu'on se retrouve de plain-pied chez Ionesco. Il suffit d'une prise électrique située un peu trop loin d'un appareil à brancher pour que le fil électrique se torde comme un serpent python échappé d'un cauchemar à la Tati.

Il suffit d'un siège qui cède sous un postérieur pour évoquer le Brecht de La Noce chez les petits-bourgeois ou les pantomimes des grands comiques du cinéma muet. Il suffit qu'un piano soit une harpe – et il l'est – pour livrer la scène à tous les carambolages de l'humour dada... Marthaler s'approprie comme nul autre tout ce qu'il touche et l'affole pour le rendre plus vrai que nature. Sous la conduite de ce diable d'artiste, l'île flottante du vaudeville largue les amarres de l'intrigue et prend gaiement le large, au vent de la plus libre fantaisie.  

Marthaler, on se l'imagine disant «Théâtre !» comme un maître de cérémonie lève la main et n'a qu'à s'écrier «Musique !» pour qu'aussitôt l'orchestre joue. Comme s'il lui suffisait d'un geste et de ce mot-là pour qu'à l'instant le théâtre soit présent, entièrement, et nous enveloppe dans une entente d'une autre sorte. «Théâtre !» et nous voilà pris, embarqués comme on peut l'être par la musique, dans un monde où rien ne veut plus rien dire et où tout fait sens. Où s'ouvre dans le temps quotidien une brèche de quelques instants où l'on accepte tout sans nul besoin de comprendre, dans un suspens aussi mystérieux qu'évident – où l'évidence et le mystère, loin de s'opposer, deviennent condition l'un de l'autre.
Ne cherchez donc pas d'île flottante dans le théâtre complet de Labiche : il n'y en a pas. Mais donner un nom de dessert à un spectacle d'après l'auteur du Prix Martin (créé à l'Odéon la saison dernière par Peter Stein), voilà une belle idée qui ressemble bien à Christoph Marthaler, magicien de théâtre et spirituel Prospero de cette île savoureuse entre toutes. Plutôt que de monter un seul texte de Labiche, le maître suisse a extrait de ses œuvres des matériaux à accommoder à sa manière inimitable. Cette fois-ci, il est parti de La Poudre aux yeux, une comédie en deux actes déjà hilarante en elle-même. On y voit s'affronter deux bonnes familles bourgeoises aux noms vaguement évocateurs de bêtes à poils ou à plumes, chacune pourvue d'un enfant en âge d'être marié. Cela tombe bien : Emmeline Malingear et Frédéric Ratinois font déjà tant de musique ensemble qu'on a commencé à jaser dans le voisinage... Il est donc urgent d'ouvrir les pourparlers matrimoniaux.
Histoire de les pimenter un peu, Marthaler s'amuse à faire négocier les pères de famille en français et en allemand. Bien entendu, aucun des deux ne maîtrise la langue de l'autre... Et comme pour ruiner définitivement toute chance de surmonter les malentendus, il leur incorpore délicatement un joli morceau d'Un Mouton à l’entresol, puis saupoudre le tout de délirantes surprises du chef. La première d'entre elles, un prologue polyphonique et polyglotte prononcé à l'avant-scène par la troupe impavide, dynamite allègrement toute chance de «comprendre» quoi que ce soit, comme pour nous préparer aux joyeuses loufoqueries du royaume de théâtre qui nous attend derrière le lourd rideau de velours. Quelques instants plus tard, sous l'œil inscrutable des vieux portraits de famille (au fait, laquelle ?...) qui ornent tous les murs, une pendule inconsolable sonne obstinément une heure qui n'en finit plus, avant que quelques vers du Jabberwocky de Lewis Carroll récités par un Graham Valentine plus pince-sans-rire que jamais achèvent de faire vibrer le diapason de la plus pure absurdité...