Hommage à Patrice Chéreau à l'Odéon-Théâtre de l'Europe : dimanche 3 novembre 2013 : à suivre...


Hommage à Patrice Chéreau
à l'Odéon-Théâtre de l'Europe : 
dimanche 3 novembre 2013 à 20 h

Patrice Chéreau orchestrant Phèdre en 2003 aux Ateliers Berthier-Odéon

Photo de Ros Riba


Hommage de Luc Bondy : Patrice Chéreau, "Le Taureau"

Au théâtre, il «voyait» les acteurs ; à l’opéra, l’Expression absolue : l’art lyrique et le drame ; et dans son cinéma, l’intimité, comme le titre de son magnifique film anglais.

Patrice prétendait un jour, c’était à l’occasion de la remise d’un prix, que j’étais toujours un peu jaloux de lui. C’est vrai. Quand je repense à son œuvre, je le serai toujours.

Non seulement je lui dois de m’avoir invité en France en 1984 à Nanterre, mais il est aussi le metteur en scène que j’ai admiré le plus - Dieu sait combien de grands metteurs en scène j’ai côtoyé. Lui et son ami Richard Peduzzi ont créé un univers au théâtre, à l’opéra, inimitable car totalement original. Peut-être comme les Beatles ou les Stones dans la musique - il s’agit de la même époque.

Ce génie était tendre et cruel. Il disait tout ce qu’il pensait. Il était d’une honnêteté douloureuse envers lui… comme envers les autres…

J’ai tellement ri avec Patrice, mais tellement ri. Il était d’un humour invraisemblable. Orgueilleux, il était d’une modestie bouleversante. On l’appelait souvent le «Taureau».

Que ce taureau succombe au cancer - c’est, tout simplement, la pire des injustices.

Penser à lui, s’imaginer ce grand artiste, cela doit nous donner l’énergie de continuer notre vie d’artisan, même en pleurant.


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Les visages et les corps, Patrice Chéreau

Patrice Chéreau dans Coma


Ce surnom du "taureau" invite à rendre hommage à la sensualité, à "l'art du corps à corps" de Patrice Chéreau, à sa "fureur animale" parfois, à sa direction d'acteurs "très physique", à son talent de danseur avec Pascal Greggory : "Dans la Solitude des champs de coton.




"Personne n'a su comme lui mettre en scène les visages et les corps"
Brigitte Salino, du service culture du Monde comme Patrice Chéreau

Vidéo sur www.lemonde.fr


Un extrait de la vidéo : une répétition de Dans la solitude des champs de coton dans l'article suivant.

Dans la solitude des champs de coton, 1995 : trois fois porté à la scène par Patrice Chéreau qui a obtenu le Molière de la meilleure mise en scène en 1996 pour sa mise en scène chrorégraphiée avec Pascal Greggory à la Manufucature des oeillets à Ivry-sur-scène.


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"Farouchement libre", Fabienne Pascaud
Hommage à Patrice Chéreau, octobre 2013, Télérama 3327


"dans ses spectacles, ou dans ses films, si charnels, si brutaux parfois, la matière et la résistance des corps sont plus perceptibles que celles des âmes. Et sa direction d'acteurs, selon ses interprètes, est elle aussi très physique. En témoigne Emmanuel Demarcy-Mota, patron du Théâtre de le Ville, qui assista aux répétitions de I am the wind de Jon Fosse, la dernière pièce dirigée par Patrice Chéreau en 2011. "Pendant les répétitions, il était constamment sur scène, soutenait les acteurs de son regard, quand il ne venait pas leur parler à l'oreille. On n'entendait rien de leurs échanges. Patrice cherchait juste à les pousser, à leur dire des mots qui pouvaient les inspirer sans vouloir les blesser publiquement. Il parlait même parfois en même temps qu'ils disaient leurs textes : "Pousse-le, attrape-le, descends, il faut une étreinte, plus de désir !" sont des mots que j'ai entendus souvent. "Je parle, je parle, impossible de comprendre ce qu'ils comprennent vraiment", avouait-il. Et il jouait, rejouait aussi pour eux toutes les scènes, mais sans jamais leur demander de l'imiter comme faisait Strehler." A propos de l'école de Nanterre, qui vit sortir Valeria Bruni-Tedeschi, Agnès Jaoui, Marianne Denicourt, Vincent Perez..., il disait qu'il ne fallait "pas enseigner mais enflammer".
 
 

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Patrice Chéreau raconté par ses acteurs

D'Isabelle Adjani à Dominique Blanc, Patrice Chéreau raconté par ses acteurs,  
18 janvier 2003, Télérama n°2766

Reportage sur le tournage de L'Homme blessé en 1983.
Corps. Le mot est lâché. Au cours de ces étranges cérémonies littéraires, Patrice Chéreau cherche le passage secret qui mène du cortex à l'épiderme. La cantatrice Waltraud Meier, qui chantait arc-boutée comme une danseuse vaudoue, dans sa mise en scène de l'opéra Wozzeck, en a fait l'expérience : « Avec Patrice Chéreau, tous les mouvements sortent de la pensée. Il ne dit pas à l'acteur, au chanteur, bouge ainsi, mets-toi là. Il lui parle d'abord de l'émotion qui doit l'habiter. Mon mouvement disait à la fois la défense et l'amorce du désir. Je n'ai jamais réfléchi intellectuellement à la façon de traduire cette contradiction. Mon corps l'a matérialisé de cette façon ».
L'intitulé du chapitre 2 sera donc sportif : « De l'art du corps-à-corps ». Artiste touche-à-tout, Patrice Chéreau n'a pas encore chorégraphié de ballet. A moins qu'il n'ait jamais rien fait d'autre. Son propre corps est déjà un instrument de travail primordial. A la fois taureau et torero, lion et dompteur, il est célèbre pour arpenter les plateaux à grandes enjambées, comme un marathonien de haut niveau. Catherine Hiegel, qu'il extirpa brièvement de la Comédie-Française pour jouer dans Quai ouest, de Bernard-Marie Koltès, se souvient de sa fureur animale : « Il ne ménageait pas son énergie, et mettait sans cesse à l'épreuve son corps dense et musclé. Il se fichait de son apparence, portait toujours le même jean, la même veste, ne disciplinait jamais ses épis dans ses cheveux. Il transpirait comme un boeuf, mangeait comme un chien, avec une rapidité folle, pour en finir au plus vite avec ce qui ne l'intéresse pas. »


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Hommage de Thierry Thieû Niang, chorégraphe de Patrice Chéreau :

Chorégraphe et compagnon de route de Patrice Chéreau sur ses dernières production de théâtre ou d’opéra, Thierry Thieû Niang l’avait mis en scène dans sa création “du printemps” présentée à Valence puis à Paris. Patrice Chéreau y lisait des extraits du journal de Nijinsky et partageait le plateau avec une troupe de seniors amateurs. Thierry Thieu Niang se souvient.

J’écris pour faire résonner le silence, la douceur du souffle de l’air dans les arbres ; dans cet arbre où il rêvait de voir grimper les actrices et les acteurs de Comme il vous plaira.*.. Un arbre qui bougerait lentement au milieu des spectateurs…
Nous étions à côté d’Assise en Italie où il lisait Coma de Pierre Guyotat et il avait ramassé sur un chemin une feuille couleur d’or qu’il avait glissée dans un de ses livres.
C’est pour Richard, pour le décor !
Le soir il a eu la surprise de voir Marianne et Jean Louis Trintignant venus en voiture d’Uzès pour le voir, l’écouter. Je les ai regardés longtemps, l’un l’autre les deux ensemble, vifs, clairs et heureux de se voir. Ils se disaient en riant qu’il fallait travailler, travailler jusqu’au bout.
Lire, écrire, dire des textes, des poèmes. Raconter des histoires.
C’est vrai qu’avec lui, par lui, en travaillant avec lui, je n’ai plus eu peur de travailler.
Et je rajoute : Le travail du vivre.
Pendant ces années au travail ensemble, j’ai partagé surtout ce que je vivais moi ; toutes les danses avec les enfants autistes, les personnes âgées, les prisonniers, tous ces inconnus empêchés et si vivants de mouvements.
Et il a regardé, curieux de tout ; il a retenu des souffles, des élans, des cercles, des présences au présent de ces gens pour continuer à les faire résonner dans son travail…
Je le connais à cet endroit là ; la présence à l’autre ; à l’autre autre.
De la maison des morts, La douleur, au bois dormant, I’m a the wind, les lieder de Wagner, La nuit juste avant les forêts, Coma, Elektra
J’ai quitté Paris pour la tournée ” du printemps ”  des seniors ; il devait être là en alternance avec un autre comédien pour lire des extraits des carnets de Nijinsky.
Caen, Vire, St-Ouen, Sète, même Séville où il avait sa maison…
Je fais comme il disait ; continuer à travailler, travailler les mots, les gestes, les espaces entre, les silences aussi, travailler pour les spectateurs et pour la vie qui va avec…
Ces jours prochains,  je le fais pour lui… et je suis bouleversé et fier que ce soient ces femmes et ces hommes amateurs et seniors qui, sur un plateau de théâtre, pieds nus et debout, jusqu’à courir encore et encore, qui avec moi lui disent : merci, merci Patrice…
Après, en cet automne triste – après le printemps dansé – j’irai ramasser d’autres feuilles jaunes pour son arbre…et lui donnerai du silence pour se reposer



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"Je dis que l'avenir c'est du désir, pas de la peur"

Les visages et les corps, Patrice Chéreau


Mise en scène et jeu de Philippe Calvario
au Théâtre du Rond-Point 


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"Il était porté par un élan vital qui parfois défiait la mort"
Jean-Pierre Vincent

"Il était porté par un élan vital, qui parfois défiait la mort. Chéreau n’était pas un metteur en scène de comédie, son "Cosi fan Tutte" n’est pas le meilleur de ses spectacles. Il se plaisait au contraire à dire qu’il était né le jour des morts, un 2 novembre. Son travail me fait penser à la gravure de la Mélancolie de Dürer. Au XVIe siècle, la mélancolie était une chose active, qui comprenait de la gaîté, de la joie, qui n’oubliait pas que la mort est vivante."

Propos de Jean-Pierre Vincent recueillis par Morgane Bertrand pour Le Nouvel Observateur.


  Melencolia d'Albrecht Dürer (1514)

Le désir, la clef de Patrice Chéreau ?

Patrice Chéreau, metteur en scène du désir ?

Jean-Pierre Vincent* qui lui a rendu hommage dimanche 10 novembre sur la scène de l'Odéon-Théâtre de l'Europe, a raconté comment il a vu Patrice Chéreau, considéré comme très laid par lui-même et l'objet de railleries de leurs condisciples "jolis garçons", se métamorphoser pour devenir, à l'image de Dom Juan, une incarnation du désir d'aller de l'avant depuis qu’à vingt ans, au groupe théâtral Louis le Grand, il avait créé "L’Intervention" de Victor Hugo jusqu'à ses 68 ans.

* Etudiant au Lycée Louis-le-Grand, il rencontre au sein du groupe théâtre du lycée Michel Bataillon, Jérôme Deschamps et Patrice Chéreau. Il coanime pendant deux ans la troupe qui se professionnalise, et suit Patrice Chéreau à Genevilliers puis au Théâtre de Sartrouville.

Jean-Pierre Vincent a créé en 2012 à La Comédie Française un Dom Juan, figure emblématique du désir, qui se relève pour repartir en compagnie de Sganarelle à la fin de la comédie de Molière, avant de réapparaître pour le salut des comédiens.

Avec son énergie, sa force visionnaire, sa capacité de fils de plasticiens à modeler la matière au point de métamorphoser son propre corps, son inlassable perfectionnisme, Patrice Chéreau n'a cessé d'aller de l'avant et de témoigner,  parce qu'il était un immense acteur, qu'il savait également diriger les autres, peau à peau : Maria Casarès, Michelle Marquais, Isabelle Adjani, Roland Bertin, Michel Piccoli, Pascal Greggory, Bulle Ogier, Gérard Desarthe, Anouk Grimberg, Dominique Blanc..., tous, et les plus grands sans exception, rêvaient de travailler avec lui qui, du temps où il dirigea Nanterre/Amandiers, y avait fondé mieux qu’une école, un creuset. Et quand il n’eut plus le désir, et la force qui va avec pour cette institution, il est parti, mais jamais pour faire carrière ou cavalier seul. Pour continuer à aller de l’avant.


Le 26 juillet 2013, dans le cadre du Festival d'Avignon, Patrice Chéreau a donné voix et corps à Coma, le roman autobiographique de Pierre Guyotat à l'Opéra-Théâtre, dans une mise en scène de Thierry Thieû Niang. 

Texte à la main, il a arpenté le plateau nu, lisant parfois, incarnant plus souvent. A travers lui, sans effet ni artifice, les mots de Pierre Guyotat disent l'infinie souffrance de l'être et de l'esprit. Ils racontent la dépression, la place dévorante de l'art et la pulsion suicidaire, mais aussi la nécessité de vivre, le besoin irrépressible de s'exprimer, qui se révèlent plus forts que ce coma physique et intellectuel dont l'auteur a été victime. 

Patrice Chéreau avait présenté au Festival d'Avignon Hamlet et Dans la solitude des gens de coton en 1988. Il y était revenu en 2011 avec I am the wind.

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"Sleep", Patrice Chéreau


Marianne Faithfull a lu sa chanson sur la scène de l'Odéon-Théâtre de l'Europe, au cours de la soirée qui rendait hommage à Patrice Chéreau, celle du film Son Frère de Patrice Chéreau (2003):

It is safe to sleep alone
In a place no one knows
And to seek life under stones
In a place water flows.

It is best to find in sleep
The missing pieces that you lost
Best that you refuse to weep
Ash to ash, dust to dust.

It is strange to sleep alone
In a place no one knows
Strange to shelter under stones
In a place water flows.

It is safe to walk with me
Where you can read the sky and stars,
Safe to walk upon the sea
In my sleep we can go far.

It is safe to sleep alone
In a place no one knows
And to shelter under stones
In a place water flows.

It is strange to sleep alone
In a place no one goes,
Strange to seek life under stones.
In my sleep no one knows




A la fin de cette soirée d'hommage à Patrice Chéreau à l'Odéon-Théâtre de l'Europe, Jane Birkin a interprété a capella sa chanson : "L'amour de moi" :



L'amour de moi

Ci est enclose

Dedans un joli jardinet

Où croît la rose et le muguet

Et aussi fait la passerose

A la vie elle avait dit " Pause "

C'est ainsi qu'elle s'en est allée

Je l'ai retrouvée au détour d'une allée

Où à jamais elle repose

Trois sentiments en moi s'opposent

Le chagrin en est le tout premier

En second viennent les remords et les regrets

Enfin l'amour dont elle dispose

J'aimerais lui dire tant de choses

Allongée près d'elle à ses côtés

Alors mes larmes seront perles de rosée

Pour arroser son laurier-rose 




Pour conclure cette soirée d'hommage, 
pour conclure, ont été diffusées quelques images filmées de la sublime Elektra de Strauss mise en scène, cet été, par Chéreau au Festival d'Aix-en-Provence


Patrice Chéreau, lors des saluts de la Première d'Elektra de Richard Strauss, 
au Festival d'Aix-en-Provence le 10 juillet 2013
 Photo © Pascal Victor


"Elektra, la femme dont le cri est un chant".

 La solitude de l’individu et la violence intime gisent au coeur du travail théâtral de Patrice Chéreau. Il était donc naturel pour lui d’entrer, en compagnie du chef d’orchestre Esa-Pekka Salonen, dans la course folle d’Elektra, la femme dont le cri est un chant.

Il est avec ses chanteuses, ses chanteurs, son chef, il les entraîne. Il rit, il est heureux.
"Patrice, un instrument pour montrer l'acte de créer" ?

Charlotte Rampling
  

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"A moi tout me manquait"
 Patrice Chéreau , Les visages et les corps


"Sans clefs, la grande armoire " ?
Rimbaud, "Les étrennes des orphelins", Poésies, 1870



"La vérité d'un homme, c'est d'abord ce qu'il cache", André Malraux


"Tempo è galant'uomo"