Hommage à Patrice Chéreau : "Ceux qui m'aiment prendront le train"

Hommage à Patrice Chéreau

à l'Odéon-Théâtre de l'Europe : 
dimanche 3 novembre 2013 à 20 h


"Tempo è galant'uomo"
Figaro, Le Mariage de Figaro, Beaumarchais (III, 5)

FIGARO :
"Tempo è galant'uomo, dit l'Italien ; il dit toujours la vérité : c'est lui qui m'apprendra qui me veut du mal, ou du bien."

A propos de l'école de Nanterre, 
 il disait qu'il ne fallait "pas enseigner mais enflammer".
"Les Inséparables" d'Esther Shalev-Gerz, fabriqué par Jaeger-LeCoultre


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"Jouer avec ce qu'on ne cadre pas"

1983, Festival de Cannes
 

1983 – Inauguration du Théâtre Nanterre-Amandiers avec Combat de nègre et de chien de Bernard-Marie Koltès et tournage de L'Homme blessé

1983 - Création du Théâtre de l'Europe : l'Odéon-Théâtre de l'Europe
Journée du 12 novembre : "30 ans de la création du Théâtre de l'Europe"
Un "Théâtre d'art", de metteurs en scène

2003 - Inauguration des Ateliers Berthier-Odéon avec Phèdre de Racine, mise en scène de Patrice Chéreau
2008 - Tournage de Persécution
 Les Transversales de Patrice Chéreau, Gérard Pernon
Entretien au cours d'un hommage rendu par Rennes 2 en 2008 (Ouest-France)

"Un film tourné au plus près, à fleur de peau. C'est ce que je cherche"
"La différence entre le cinéma et le théâtre, c'est le gros plan"
"jouer avec ce qu'on ne cadre pas"

Les Transversales de Patrice Chéreau, Gérard Pernon
Entretien au cours d'un hommage rendu par Rennes 2 en 2008 (Ouest-France)
Patrice Chéreau était en cours de tournage de son film,  Persécution

La Lutte de Jacob avec l'Ange, Eugène Delacroix (1861, Chapelle Saint-Sulpice)


2011 - Mise en scène de La nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltès au Théâtre de l'Atelier en mars 2011


Ce jour-là, au détour d'un couloir au Théâtre de l'Atelier, j'ai croisé son regard. LDL
"un signal à travers les flammes" 
Antonin Artaud, cité par Peter Brook dans L'Espace vide

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 Hommage d'Ariane Mnouchkine, 9 octobre 2013

Théâtre du soleil 

Patrice, très ennuyé, me raconte ses difficultés à monter son projet de film sur Napoléon à Sainte Hélène.
— Mais pourquoi ?
— Al Pacino n’arrive pas à se décider, et puis les producteurs et lui trouvent que c’est très cher.
— Très cher ? — je m’étonne — mais à part Al Pacino lui-même, Napoléon à Sainte Hélène, quand même, ça ne doit pas être si cher que ça ! — Et bien… c’est à dire… il y a quand même un flashback de 45 minutes sur la retraite de Russie…
Je me souviens du fou rire qui nous prit. De son espièglerie, de sa malice de collégien. De sa constance dans la gaieté. De ses étonnements fertiles. De ses yeux qui écoutaient. De son pas. Court et si rapide. Comme s’il était toujours en train d’aller se mettre en place. Quelque part. Pour commencer ou poursuivre. Une répétition. Une idée. Un projet. Un rêve.
Je me souviens du fou rire qui nous prit. De son espièglerie, de sa malice de collégien. De sa constance dans la gaieté. De ses étonnements fertiles. De ses yeux qui écoutaient. De son pas. Court et si rapide. Comme s’il était toujours en train d’aller se mettre en place. Quelque part. Pour commencer ou poursuivre. Une répétition. Une idée. Un projet. Un rêve.
Cette nuit on le pleure à Milan, à Aix-en-Provence, à Bayreuth, à Salzbourg, à Spoleto, à Bruxelles, à Paris. On le pleure partout où il a œuvré. On le pleure là où il allait venir un jour et où il ne viendra pas.
On le pleure dans des palais de marbre mais aussi dans de tout petits théâtres. Des lycéens le pleurent. Des professeurs le pleurent. De grandes actrices le pleurent, qui ont joué avec lui, ou pas. Des divas le pleurent, celles qui l’ont amusé ou exaspéré de leurs caprices, mais qui l’ont fait pleurer de joie aussi. Et puis des milliers, des centaines de milliers, des millions de spectateurs le pleurent.
Moi, je le pleure. Tous ces rendez-vous que nous avons repoussés, lui et moi. Surtout moi. Trop de travail. Trop de retard.
— Je viens te voir répéter, lui disais-je, à Aix, je m’offre ce cadeau. La semaine prochaine. Non, pas cette semaine, pardon, je ne peux pas, je suis en retard, mais celle d’après. Sans faute. Je me réjouis.
Il y eut faute. Je n’y allai pas. Trop de travail. Trop de retard. Oh !
Ne faites pas ça. Allez voir vos amis. Car ils meurent, vos amis, et toujours avant vous.
J’aurais tant aimé voir la retraite de Russie ressuscitée par Patrice Chéreau. 

Ariane Mnouchkine
9 octobre 2013



 

"Patrice était un être humain exceptionnel, avant d'être un homme de théâtre et de cinéma  unique et exemplaire. Désormais il nous reste Ariane Mnouchkine comme conscience."
 Jane Birkin

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"un signal à travers les flammes" ?
Antonin Artaud, cité par Peter Brook dans L'Espace vide

"Remember"

Stefan Zweig, Le Joueur d'échecs

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Historique du début de la carrière de Patrice Chéreau :
"Farouchement libre", Fabienne Pascaud (Télérama)

Extraits de l'Anthologie de L'Avant-scène théâtre : Le théâtre français du XXème siècle
(sous la direction de Robert Abirached)

Un grand vent de jeunesse – Pour faire irruption dans la vie théâtrale française, la jeunesse ne quémande aucune autorisation venue d'en haut. Elle ne s'inspire, à ses débuts, d'aucune école et ne se laisse dicter l'observance d'aucun style. Elle profite, certes, des coups de projecteur donnés par le concours des jeunes compagnies organisé par le ministre mais elle n'attend pas l'octroi de subventions pour se manifester et pour prendre ses marques en toute autonomie. Voici en quelques dates le résumé de ce parcours : en 1959, qui est aussi l'année de la fondation par Jacques Scherer d'un Institut d'études théâtrales à la Sorbonne, Ariane Mnouchkine – vingt ans – crée avec Martine Franck l'Association théâtrale des étudiants de Paris (ATEP), qui donnera naissance quatre ans plus tard au Théâtre du Soleil. En 1963, Jack Lang lance à Nancy un festival mondial du Théâtre universitaire, où affluent des troupes de tous les continents. A peu près au même moment, un groupe d'étudiants basés au lycée Louis-le-Grand commence à faire parler de lui, emmené par Jean-Pierre Vincent (né en 1939) et Patrice Chéreau (1941). Celui-ci, avec Vincent pour dramaturge, met en scène successivement Fuente Ovejuna de Félix Lope de Vega en 1964, puis L'Affaire de la rue de Lourcine d'Eugène Labiche (1966), et Les Soldats de Jakob Lenz qui remportent le concours des jeunes compagnies en 1967.
p. 41

On peut se féliciter enfin de voir se profiler à l'horizon une belle et intéressante relève : Ariane Mnouchkine reçoit le prix de la critique dramatique pour sa mise en scène de La Cuisine d'Arnold Wesker au Cirque de Montmartre et accède ainsi à un début de notoriété en même temps que Patrice Chéreau, couronné au titre du concours des jeunes compagnies.
p.43

"Tempo è galant'uomo"


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"Farouchement libre", Fabienne Pascaud
Hommage à Patrice Chéreau, octobre 2013, Télérama 3327


"dans ses spectacles, ou dans ses films, si charnels, si brutaux parfois, la matière et la résistance des corps sont plus perceptibles que celles des âmes. Et sa direction d'acteurs, selon ses interprètes, est elle aussi très physique. En témoigne Emmanuel Demarcy-Mota, patron du Théâtre de le Ville, qui assista aux répétitions de I am the wind de Jon Fosse, la dernière pièce dirigée par Patrice Chéreau en 2011. "Pendant les répétitions, il était constamment sur scène, soutenait les acteurs de son regard, quand il ne venait pas leur parler à l'oreille. On n'entendait rien de leurs échanges. Patrice cherchait juste à les pousser, à leur dire des mots qui pouvaient les inspirer sans vouloir les blesser publiquement. Il parlait même parfois en même temps qu'ils disaient leurs textes : "Pousse-le, attrape-le, descends, il faut une étreinte, plus de désir !" sont des mots que j'ai entendus souvent. "Je parle, je parle, impossible de comprendre ce qu'ils comprennent vraiment", avouait-il. Et il jouait, rejouait aussi pour eux toutes les scènes, mais sans jamais leur demander de l'imiter comme faisait Strehler." A propos de l'école de Nanterre, qui vit sortir Valeria Bruni-Tedeschi, Agnès Jaoui, Marianne Denicourt, Vincent Perez..., il disait qu'il ne fallait "pas enseigner mais enflammer".
 
 

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Patrice Chéreau raconté par ses acteurs

D'Isabelle Adjani à Dominique Blanc, Patrice Chéreau raconté par ses acteurs,  
18 janvier 2003, Télérama n°2766

Reportage sur le tournage de L'Homme blessé en 1983.
Corps. Le mot est lâché. Au cours de ces étranges cérémonies littéraires, Patrice Chéreau cherche le passage secret qui mène du cortex à l'épiderme. La cantatrice Waltraud Meier, qui chantait arc-boutée comme une danseuse vaudoue, dans sa mise en scène de l'opéra Wozzeck, en a fait l'expérience : « Avec Patrice Chéreau, tous les mouvements sortent de la pensée. Il ne dit pas à l'acteur, au chanteur, bouge ainsi, mets-toi là. Il lui parle d'abord de l'émotion qui doit l'habiter. Mon mouvement disait à la fois la défense et l'amorce du désir. Je n'ai jamais réfléchi intellectuellement à la façon de traduire cette contradiction. Mon corps l'a matérialisé de cette façon ».
L'intitulé du chapitre 2 sera donc sportif : « De l'art du corps-à-corps ». Artiste touche-à-tout, Patrice Chéreau n'a pas encore chorégraphié de ballet. A moins qu'il n'ait jamais rien fait d'autre. Son propre corps est déjà un instrument de travail primordial. A la fois taureau et torero, lion et dompteur, il est célèbre pour arpenter les plateaux à grandes enjambées, comme un marathonien de haut niveau. Catherine Hiegel, qu'il extirpa brièvement de la Comédie-Française pour jouer dans Quai ouest, de Bernard-Marie Koltès, se souvient de sa fureur animale : « Il ne ménageait pas son énergie, et mettait sans cesse à l'épreuve son corps dense et musclé. Il se fichait de son apparence, portait toujours le même jean, la même veste, ne disciplinait jamais ses épis dans ses cheveux. Il transpirait comme un boeuf, mangeait comme un chien, avec une rapidité folle, pour en finir au plus vite avec ce qui ne l'intéresse pas. »



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