Je disparais, Arne Lygre : reporté au jeudi 8 décembre ovembre à 20h30 au Théâtre de La Colline (durée 1h30)

Je disparais, Arne Lygre : reporté au jeudi 8 décembre





Mise en scène et scénographie de Stéphane Braunschweig

Traduction du norvégien par Eloi Recoing, Editions de l'Arche


avec :
Irina Dalle, Alain Libolt, Pauline Lorillard, Annie Mercier, Luce Mouchel











Rencontre avec Arne Lygre et Stéphane Braunschweig

au Théâtre de La Colline à 20h30 : lundi 5 décembre 2011


*****

"Je disparais", pièce vertigineuse d'Arne Lygre

LEMONDE


Ainsi commence Je disparais, cette étrange pièce que donne en création mondiale en son Théâtre de la Colline, et qui permet de retrouver l'auteur Arne Lygre, découvert en France en 2007 grâce à Claude Régy et à sa mise en scène d'Homme sans but. Une femme est dans sa maison, donc, mais très vite cette situation simple et banale se brouille et se trouble, dans l'énigmatique jeu de piste inventé par le dramaturge norvégien.

Car "Moi" doit partir, quitter cette maison qui contient sa vie. Jetée hors de chez elle par une mystérieuse menace qui semble d'abord venue du monde extérieur - guerre civile ? dictature ? catastrophe ? "Moi" attend, pour l'accompagner dans sa fuite, "Mon mari", "Mon amie" et "La fille de mon amie". "Mon mari" ne viendra pas, mais "Mon amie" et "La fille de mon amie", si. "C'était notre ville", constatent les trois femmes. "C'est ici que nous avons vécu depuis des années." Elles partent.

Commence un exode dont on ne sait jamais si les péripéties, qui évoquent celles que vivent les migrants d'aujourd'hui, sont vraiment vécues, ou si elles expriment les angoisses, les peurs, le paysage imaginaire de "Moi", en son exil intime. A la fin de Je disparais, "Mon mari" est seul dans la maison de "Moi". "C'est ma maison", dit-il. "C'est ici que je vivrai la vie qui me reste. J'ai suivi cette pensée. Rester. Accepter le nouveau système. Devenir nouveau." Sans que l'on sache jamais si cet "homme nouveau" qu'il est devenu concerne uniquement sa vie intime - une nouvelle femme - ou l'adhésion à un ordre politique récemment instauré - ou les deux.

Ce doute, cette incertitude font tout le prix des pièces d'Arne Lygre. C'est fou ce qu'il met en jeu, dans les replis de son écriture minimaliste, cet auteur de 43 ans venu d'un pays, la Norvège, qui se croyait sans histoire mais qui, avec la tuerie d'Utoya et l'attentat à la bombe d'Oslo, perpétrés en juillet par un jeune chrétien d'extrême droite, a vu se briser la façade bien lisse de la social-démocratie modèle (Arne Lygre avait écrit sa pièce avant ces événements).

Qui se sent en sécurité, aujourd'hui, à la fois sur le plan intime et sur le plan politique ?

Ce sentiment d'insécurité repose-t-il uniquement sur des bases réelles, ou largement fantasmatiques ? C'est tout cela qu'Arne Lygre tisse avec la question de l'exil et celle de l'identité, amenée de manière tout à fait bouleversante. Qu'est-ce qui la constitue, cette identité ? La maison ?, interroge Lygre comme en lointain écho à La Cerisaie de Tchekhov (car qui vit encore dans la maison de son enfance, de nos jours ?). Le pays, le territoire ? Le corps ? Ou l'imaginaire, un imaginaire contemporain qui fait de nous des "moi" qui disparaissent ? Vertiges.

Stéphane Braunschweig, qui, après les déceptions de Lulu et de Maison de poupée, semble avoir retrouvé toute la plénitude de son talent, la met en scène dans une épure somptueuse, cette pièce qu'il n'est pas question de réduire à un quelconque réalisme. La scénographie, absolument magnifique, signée par le metteur en scène lui-même, installe les "personnages" dans un espace mental démultiplié en blanc, gris et noir, une série de cadres ou d'à-plats lumineux en ligne de fuite, comme autant de chambres de la conscience. La vidéo est utilisée avec une pertinence rare, permettant de figurer, en un des moments les plus émouvants du spectacle, le moment où "Moi" perd les contours de son identité.

Cette abstraction, qui pourrait être froide, est compensée par le jeu des acteurs, que Braunschweig a travaillé sur le fil du rasoir : incarné et concret, il laisse pourtant affleurer l'étrangeté et le mystère. Luce Mouchel ("Mon amie"), Pauline Lorillard ("La fille de mon amie"), Alain Libolt ("Mon mari"), Irina Dalle ("Une étrangère") sont parfaits dans cet équilibre délicat. Mais, à ce jeu-là, c'est l'étonnante Annie Mercier ("Moi") qui gagne : tellement réelle, tellement présente, tellement pleine, avec sa voix rauque et son corps de matrone, qu'elle semble amplifier autour d'elle le vide, la perte de réel dessinés par Arne Lygre.

Fabienne Darge