La Fin, mise en scène Krzysztof Warlikowski - Théâtre de l'Odéon

Koniec (La Fin)

mise en scène: Krzysztof Warlikowski

d'après Kafka, Koltès, Coetzee

durée du spectacle : 3h50 avec un entracte

en polonais surtitré


d’après :

Nickel Stuff. Scénario pour le cinéma de Bernard-Marie Koltès,

Le Procès et Le Chasseur Gracchus de Franz Kafka,

Elizabeth Costello de John Maxwell Coetzee




adaptation : Krzysztof Warlikowski, Piotr Gruszczyński
dramaturgie : Piotr Gruszczyński
décor & costumes : Małgorzata Szczęśniak
lumière : Felice Ross
musique : Paweł Mykietyn
chorégraphie : Claude Bardouil
vidéo : Denis Guéguin

avec Stanisława Celińska, Magdalena Cielecka, Ewa Dałkowska, Wojciech Kalarus, Marek Kalita, Mateusz Kościukiewicz, Zygmunt Malanowicz, Maja Ostaszewska, Magdalena Popławska, Jacek Poniedziałek, Anna Radwan, Maciej Stuhr


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Comment qualifier « Koniec » (Fin) le nouveau spectacle de Kzrystof Warlikowski créé à l'automne dernier à Varsovie et actuellement à l'Odéon ?

Un journal intime en forme de poème scénique

Ce n'est pas une tragédie même si le tragique y vérole l'existence, ni une comédie même s'il nous arrive de rire d'une femme qui marche comme un dindon un rien militaire. A dire vrai, les catégories théâtrales sont ici caduques. Mieux vaut parler de journal intime ou de poème scénique, ou des deux à la fois.

On oscille entre ces deux termes comme Koniec ne cesse d'osciller, de butiner sans vouloir se poser, sans chercher à inscrire le mot koniec comme il apparaissait naguère à la fin des films polonais, puisque la finitude habite ce lamento qui avance à la vitesse d'une larme qui nous échappe discrètement au détour d'une page relue d'un livre aimé.

Il y eut les grands maîtres de la scène européenne, de Strehler à Grüber, de Brook à Vitez et Fomenko qui œuvraient, et œuvrent encore pour certains, à travers le prisme de grandes textes écrits pour le théâtre.

Aujourd'hui, les Castorf, Lupa, Marthaler, Cassiers s'approprient des œuvres, le plus souvent non théâtrales, pour écrire leurs spectacles « d'après » ces œuvres. Non pour les servir (verbe cher aux pionniers que furent Roger Blin et consorts) mais pour s'en ou se servir. Ce que faisait déjà le polonais Tadeusz Kantor quand il disait « jouer avec Witkiewicz ». C'est ainsi que procède le polonais Warlikowski dans ses derniers spectacles, Apollonia et aujourd'hui Koniec (je mets de côté l'accident industriel que fut Le Tramway).

Visions et saisissements

Dans Koniec, il s'appuie sur trois œuvres d'auteurs aimés, chez qui Warlikowski retrouve une partie de lui-même et de son histoire (un phrasé, une atmosphère, un personnage). Ces textes qui servent d'humus et de boites à répliques, apparaissent comme des fragments d'une autobiographie masquée, trouée, détournée.
Le nom des auteurs ne surprendra pas les spectateurs français qui suivent l'itinéraire de Warlikowski. Par ordre d'apparition :

Bernard-Marie Koltès avec Nickel Stuff un « scénario pour le cinéma » jamais tourné et publié post-mortem ;

Franz Kafka avec deux textes Le Procès et « Le Chasseur Gracchus » ;

John Maxwell Coetzee et son roman Elisabeth Costello .

Ces œuvres où Warlikowski pioche constituent un matériau premier, source de visions scéniques que des acteurs mettent en branle. Les autres éléments du travail jouent un rôle tout aussi déterminant :

  • les décors (et costumes) de Malgorzata Szcesniak qui crée des fenêtres intérieures (parois transparentes ou écran géant pour vidéo) comme le metteur en scène les aime ;
  • la musique de Pawel Mykietyn qui est pour beaucoup dans le climat à la fois calme, blessé et vénéneux qui s'installe avec ici et là des poussées de lyrisme ;
  • la vidéo de Denis Guéguin qui offre un contre-champ aux acteurs en déréalisant leur présence ;
  • la chorégraphie de Claude Bardouil qui contribue à la superbe entrée en matière du spectacle.

Le spectacle avance ainsi par saisissements et visions, loin de toute narration construite logiquement. Des personnages vont et viennent, esquissent des possibles, s'ancrent dans des postures. Warlikowski feuillette son âme (passent des figures de mère, de père, d'amant, d'oppresseur) via un dialogue intime avec des œuvres.

Koltès est pour Warlikowski comme un frère de lait, Kafka un ami proche à qui confier ses cauchemars et ses terreurs, auprès de Coetzee il retrouve une connivence avec le personnage d'Elisabeth qui est une artiste (elle écrit) laquelle traque l'invisible.

Chez Kristian Lupa dont il fut l'élève, l'acteur reste le pivot ; chez Warlikowski, c'est l'espace-temps qui en tient lieu même si ses acteurs polonais sont tous à louer. Cette vision entraîne dans Koniec un émiettement narratif désormais ouvertement revendiqué. Le risque est que le spectacle, par ses ellipses, par son enfermement sur lui-même, éloigne par trop le spectateur. Question de temps, de jeu d'approche. Paradoxalement ce spectacle plutôt long – trois heures quarante –, ne l'est peut-être pas assez.