Quelqu'un comme vous, Fabrice-Roger Lacan


Quelqu'un comme vous
, de Fabrice Roger-Lacan

Mise en scène : Isabelle Nanty Assistant à la mise en scène : David Zéboulon

Avec Jacques Weber et Bénabar


Création au Théâtre du Rond-Point

durée : 1h30 environ


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Vous comptez vous y prendre comment ? à mains nues ?

Une plage, deux hommes. Le vide autour d’eux, trois kilomètres de sable nu, le soleil au-dessus. Mais le plus jeune s’allonge près du plus vieux. Promiscuité dans le désert. Pourquoi ? Les voilà qui s’interrogent. L’un, patron, ours satisfait, niveau social élevé, cherche le repos. L’autre, homme de main, renard futé, trimballe un secret dans sa sacoche. Règlement de comptes, tête mise à prix, assassinat en règle, tout semble possible. Le doute plane et les questions tombent.
« Vous ne trouvez pas ça réconfortant, vous, que l’homme ne soit pas seulement une menace pour l’homme ? »


Dans un rythme vif, dense, une lutte à mains nues et à mots découverts, deux monstres s’affrontent, s’éprouvent dans un espace dépouillé qu’envahissent peu à peu tous les éléments de la machinerie théâtrale ; cintres ou projecteurs dans un concert de sons étranges. Dialogue vif, trempé d’humour et d’effroi, Quelqu’un comme vous fait état du monde d’aujourd’hui à travers deux figures d’égoïsmes monstres qui cherchent à s’inventer une relation. Ils s’éprouvent en vain jusqu’au point de non retour, dans leur solitude infinie, irrémédiable.

Auteur de Cravate Club, d’Irrésistible, pièces cruelles et jubilatoires, coscénariste du premier film d’Isabelle Nanty, Le Bison (et sa voisine Dorine), Fabrice Roger-Lacan organise un jeu de massacre sans merci. Comédienne, metteur en scène fidèle de l’auteur, Isabelle Nanty orchestre cette partie d’échecs ardente, acharnement malin ou harcèlement moral. Elle apprivoise deux
« dragons qui ne baissent jamais la garde, deux sumos qui veulent rester à leur place, ancrés par une gravité formidable. » Elle dirige Jacques Weber avec qui elle débuta, et le « débutant » Bénabar qui fait ses premiers pas de comédien au théâtre ; bêtes de scène aux registres opposés, monstres sacrés.
production Théâtre du Rond-Point / Le Rond-Point des tournées
texte publié aux éditions l’Avant-Scène Théâtre, collection les Quatre-vents

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Des extraits du texte : Quelqu’un comme vous de Fabrice Roger-Lacan
à suivre...


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Auteur : Fabrice Roger-Lacan*

Scénariste et dramaturge, réalisateur, dialoguiste et conseiller technique, il a d'abord écrit pour le cinéma et la télévision, avec notamment à ses débuts, en 1993, un long-métrage : La Folie douce de Frédéric Jardin. En 2000, il cosigne le scénario de La Bostella, premier film d'Edouard Baer, puis participe à celui d'Akoibon en 2005. C'est avec sa pièce Cravate Club, jouée par Edouard Baer et Charles Berling et montée en 2000 à la Gaîté Montparnasse, qu'il s'est fait connaître du public. Il adapte ensuite la pièce au cinéma et écrit les scénarios du Bison (et sa voisine Dorine) d’Isabelle Nanty, d’Adolphe de Benoît Jacquot et de L’Île aux trésors d’Alain Berbérian. Sa dernière pièce, Irrésistible, mise en scène par Isabelle Nanty, remporte également un très vif succès auprès du public.

* Fabrice Roger-Lacan est le fils de Caroline Roger, fille aînée de Jacques Lacan. Ancien élève de l'EABJM, il a poursuivi ses études à l'Ecole normale supérieure de la rue d'Ulm et à l'Ecole de cinéma de l'université de New York avant de collaborer avec des metteurs en scène aux univers variés comme Edouard Baer, Benoît Jacquot, Bruno Chiche ou Isabelle Nanty.

Avant-scène-theatre.com - Allocine.com

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Extrait :
Quelqu’un d’autre : Qu’est-ce que
vous cherchez ?
Quelqu’un : Une espadrille.
Quelqu’un d’autre : Pourquoi ?
Quelqu’un : Parce qu’il me manque
une espadrille.
Quelqu’un d’autre : Pourquoi ça vous
ennuie ? Pourquoi ça vous ennuie de
m’étaler un peu de crème dans le dos ?
Quelqu’un : Ça m’ennuie, c’est tout.
Quelqu’un d’autre : Ça vous gêne ?
Quelqu’un : Oui. Ça me gêne si vous
voulez.
Quelqu’un d’autre : C’est pas moi qui
veux, c’est vous qui voulez pas. Pourquoi
vous voulez pas ?
Quelqu’un : Parce que je veux pas.
Quelqu’un d’autre : Pourquoi ça vous
gêne ?
Quelqu’un : Je vais pas vous faire un
dessin.
Quelqu’un d’autre : Pourquoi pas ?
Un dessin dans le sable. Parfois c’est
plus facile d’exprimer la chose comme
ça qu’avec des mots. Ça vous gêne vraiment
d’étaler un peu de crème solaire
entre les omoplates de votre semblable.
Quelqu’un : C’est pas une question
d’omoplates ni de crème solaire.
Quelqu’un d’autre : C’est une question
de quoi ? Dites-moi. Je suis sûr que
dans votre travail vous dites les choses
sans mettre des gants. Pourquoi vous
prenez des gants avec moi ?
Quelqu’un : Je ne prends pas de gants.
Je vous dis, là. Bien en face. Il n’est pas
question que j’effleure la peau de votre
dos. Avec ou sans crème.
Quelqu’un d’autre : Avec des gants
vous voudriez bien ?
Quelqu’un : Non.
Quelqu’un d’autre : Même avec des
gants ça vous dégoûte ?
Quelqu’un : C’est pas la question.
Quelqu’un d’autre : Je ne vous dégoûte
pas ?
Quelqu’un : Quoi ?
Quelqu’un d’autre : Je ne vous dégoûte
pas ?
Quelqu’un : Non. Pas spécialement.
Vous ne me dégoûtez pas spécialement.
Quelqu’un d’autre : Pas spécialement
? Je ne vous dégoûte pas plus
qu’un autre ?
Quelqu’un : Voilà.
Quelqu’un d’autre : Tout le monde
vous dégoûte.
Quelqu’un : Tout le monde ne me dégoûte
pas. C’est une question. C’est une
question de peau. De chair.
Quelqu’un d’autre : Ma chair vous
dégoûte ?
Quelqu’un : Pas votre chair. La chair.
La chair des.
Quelqu’un d’autre : Des gens ?
Quelqu’un : Non pas des gens. Les
gens ne me dégoûtent pas. La chair
des gens ne me dégoûte pas. Je suis
quelqu’un d’ouvert. De tolérant. Je suis
un homme de contact. J’ai des amis de
toutes les. De tous les. De tous les horizons.
Quelqu’un d’autre : Un homme de
contact.
Quelqu’un : Un homme de contact.
On peut être un homme de contact et ne
pas avoir spécialement envie d’enduire
de crème la peau d’un inconnu.


Lulu, Frank Wedekind : mercredi 24 novembre – 19 h 30 – Théâtre de La Colline



Options Théâtre de 1ère (A) et de Terminale



Lulu, une "tragédie-monstre" de Frank Wedekind

mise en scène par

Stéphane Braunschweig

au Théâtre de La Colline



Copyright Élisabeth Carecchio


Une "tragédie-monstre" en 4 actes


1ère partie : 2 heures (entracte à la fin du 3ème acte : 25') - 2ème partie : 1h30


Copyright Élisabeth Carecchio


"Quand j'ai commencé à m'intéresser à Lulu, je me disais : au fond ce qui est passionnant dans cette "folie" théâtrale, c'est que le personnage de Lulu incarne pour chaque homme une identité différente, une image différente. Je voyais surtout la façon dont les hommes projettent des fantasmes sur elle, sur son corps. Mais à chaque fois que je commençais à réfléchir sur la façon de mettre en scène la pièce "monstre" de Wedekind, je butais sur les mêmes questions : qui est Lulu ? A quoi doit-elle ressembler ? Qui peut être une femme sur qui tous les hommes projettent ? Mon idée un peu abstraite se heurtait à l'idée d'une carnation concrète."

Stéphane Braunschweig


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Je dois donner vie à mes rêves si je ne veux pas qu’ils fassent de moi un criminel sadique !”

Dans un monde dont l’érotisme semble devenu la loi, aucun homme ne résiste à Lulu, même si la mort est au bout de la jouissance. C’est en 1892 que Wedekind entreprit ce “drame pour la lecture” trop scandaleux pour être joué... mais dont la scène s’empara presque aussitôt. Et Lulu ne lâcha plus son auteur : Wedekind la remania pendant vingt ans, comme si l’époque elle-même accouchait à travers lui de cette héroïne mythique. Plus qu’une somme, l’œuvre est le creuset d’un énorme bouillonnement pulsionnel et théâtral, aux couleurs violemment contrastées : promesse de bonheur, l’éros enchanteur finit par y tourner au trash... Traversée de rocambolesque, submergée de fantasme, l’histoire de Lulu laisse peu à peu entendre de sourdes harmoniques de douleur et d’angoisse. Mais les accents grotesques auxquels Wedekind tenait tant résonnent jusqu’au dernier sursaut tragique de l’intrigue... Ce sont ces spasmes théâtraux inouïs, la vitalité de cette écriture, sa force combative dont Stéphane Braunschweig veut nourrir sa mise en scène de la “tragédie monstre”.


Copyright Élisabeth Carecchio


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Rencontre : lundi 29 novembre à 20 h 30 au Théâtre de La Colline :

Des femmes sur la scène de la transgression

à suivre...





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Rappel de la programmation 2009-2010 en options théâtre Première au Théâtre de La Colline :


Une Maison de poupéeRosmersholm, Henrik Ibsen : samedi 5 décembre – Théâtre de La Collin

Mises en scène : Stéphane Braunschweig


Les Justes, Albert Camus : jeudi 8 avril 20h 30 – Théâtre de La Colline – Grand Théâtre

Mise en scène de Stanislas Nordey

15, rue Malte-Brun – 75020 – Paris (M° Gambetta)


Combat de nègre et de chiens, Bernard-Marie Koltès : jeudi 3 juin 20h 30 – Théâtre de La Colline

Mise en scène de Michael Thalheimer


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Les représentations de personnages féminins sur la scène du théâtre :


Saison 2009-2010 :

Les Femmes savantes, Molière : vendredi 2 octobre 20h30 - Théâtre 14

Mise en scène d'Arnaud Denis

La Petite Catherine de Heilbronn, d'Heinrich von Kleist : jeudi 3 décembre 20 h - Odéon-Ateliers Berthier

Mise en scène d'André Engel


Une Maison de poupéeRosmersholm, Henrik Ibsen : samedi 5 décembre – Théâtre de La Colline

Mises en scène : Stéphane Braunschweig


Littoral, de Wajdi Mouawad : jeudi 21 janvier 19h 30 - Théâtre 71 de Malakoff

Mise en scène de Wajdi Mouawad


Un Tramway nommé désir, Tennessee Williams : jeudi 25 mars 20h – Théâtre de l'Odéon

Mise en scène de Krzysztof Waelikowski, avec Isabelle Huppert (distribution en cours)


et


Les Justes, Albert Camus : jeudi 8 avril 20h 30 – Théâtre de La Colline – Grand Théâtre

Mise en scène de Stanislas Nordey


Combat de nègre et de chiens, Bernard-Marie Koltès : jeudi 3 juin 20h 30 – Théâtre de La Colline

Mise en scène de Michael Thalheimer



La Lettre aux acteurs, Valère Novarina, Le Théâtre des paroles, 1989


J'écris par les oreilles. Pour les acteurs pneumatiques.

Les points, dans les vieux manuscrits arabes, sont marqués par des soleils respiratoires... Respirez, poumonez ! C Poumoner, ça veut pas dire déplacer de l'air, gueuler, se gonfler, mais au contraire avoir une véritable économie respiratoire, user tout l'air qu'on prend, tout l'dépenser avant d'en reprendre, aller au bout de son souffle, jusqu'à la constriction de l'asphyxie finale du point, du point de la phrase, du poing qu'on a au côté après la course.Mat


Bouche, anus. Sphincters. Muscles ronds fermant not'tube.Da L'ouverture et la fermeture de la parole. Attaquer net Mel(des dents, des lèvres, de la bouche musclée)Da et finir net Mel(air coupé)Da. Arrêter net. Mâcher et manger le texte. Le spectateur aveugle doit entendre croquer et déglutir, se demander ce que ça mange, là-bas, sur ce plateau.Mel Qu'est-ce qu'ils mangent ? Ils se mangent ? Di Mâcher ou avaler. Mastication, succion, déglutition.E Des bouts de texte doivent être mordus, attaqués méchamment par les mangeuses Max(lèvres, dents) Da; d'autres morceaux doivent être vite gobés, déglutis, engloutis, aspirés, avalés. Mel Mange, gobe, mange, mâche, poumone sec, mâche, mastique, cannibale ! Max Aïe, aïe !... Di Beaucoup du texte doit être lancé d'un souffle, sans reprendre son souffle, en l'usant tout. Tout dépenser. Pas garder ses petites réserves, pas avoir peur de s'essouffler. Semble que c'est comme ça qu'on trouve le rythme, les différentes respirations, en se lançant, en chute libre. Hu Pas tout couper, tout découper en tranches intelligentes, en tranches intelligibles – comme le veut la diction habituelle française d'aujourd'hui où le travail de l'acteur consiste à découper son texte en salami, à souligner certains mots, les charger d'intentions, à refaire en somme l'exercice de segmentation de la parole qu'on apprend à l'école : phrase découpée en sujet-verbe-complément, le jeu consistant à chercher le mot important, à souligner un membre de phrase, pour bien montrer qu'on est un bon élève intelligent – alors que, alors que, alors que, la parole forme plutôt quelque chose comme un tube d'air, un tuyau à sphincters, une colonne à échappée irrégulière, à spasmes, à vanne, à flots coupés, à fuite, à pression.

Où c'est qu'il l'coeur de tout ça ? Est-ce que c'est l'coeur qui pompe, fait circuler tout ça ?... A Le coeur de tout ça, il est dans le fond du ventre, dans les muscles du ventre. Ce sont les mêmes muscles du ventre qui, pressant boyaux ou poumons, nous servent à déféquer ou à accentuer la parole. Faut pas faire les intelligents, mais mettre les ventres, les dents, les mâchoires au travail.Mat



Faudra un jour qu'un acteur livre son corps vivant à la médecine, qu'on ouvre, qu'on sache enfin ce qui se passe dedans,Di quand ça joue.A Qu'on sache comment c'est fait, l'autre corps. Parce que l'auteur joue avec un autre corps que le sien. Avec un corps qui fonctionne dans l'autre sens. Du jeu. A Un corps nouveau ? Ou une autre économie du même ? E On ne sait pas encore. Faudrait ouvrir. Di Quand ça joue. A


Le corps en jeu n'est pas un corps qui exagère S (ses gestes, ses mimiques) Da, l'acteur n'est pas un "comédien", pas un agité. S Le jeu, c'est pas une agitation en plus des muscles sous la peau, une gesticulation de surface, une triple activité des parties visibles et expressives du corps T (amplifier les grimaces, rouler des yeux, parler plus haut et plus rythmé) Da, jouer c'est pas émettre plus de signaux ; jouer c'est avoir sous l'enveloppe de peau, l'pancréas, la rate, le vagin, le foie, le rein et les boyaux, tous les circuits, tous les tuyaux, les chairs battantes sous la peau, tout le corps anatomique, tout le corps sans nom, tout le corps caché, tout le corps sanglant, invisible, irrigué, réclamant, qui bouge dessous, qui s'ranime, qui parle. Mat


Mais on veut lui faire croire, à l'acteur, que son corps c'est quinze mille centimètres carrés de peau s'offrant gentiment comme support aux signaux du spectacle, six cent quatre positions expressives possibles dans l'art de la mise en scène, un télégraphe à égrener dans l'ordre gestes et intonations nécessaires à l'intelligence du discours, un élément, un bout du tout, un morceau de l'ensemble, un instrument de l'orchestre concertant. N lors que l'acteur n'est ni un instrument ni un interprète, mais le seul endroit où ça passe et c'est tout. S


L'acteur n'est pas un interprète parce que le corps n'est pas un instrument. Parce que ce n'est pas l'instrument de la tête. Parce que ce n'est pas son support. A Ceux qui disent à l'acteur d'interpréter avec l'instrument de son corps, ceux qui le traitent comme un cerveau obéissant habile à traduire les pensées des autres en signaux corporels, ceux qui pensent qu'on peut traduire quelque chose dun corps à l'autre et qu'une tête peut commander quelque chose à un corps, sont du côté de la méconnaissance du corps, du côté de la répression du corps, c'est-à-dire de la répression tout court. Flo






Le Vrai sang, Valère Novarina

www.novarina.com





Légende : Le Vrai sang, création mondiale et dernier opus  de l’artiste suisse Valère Novarina








Le Vrai sang

Ce sera le point d’orgue du cycle Novarina à l’Odéon. La création mondiale du Vrai sang, dernier opus en date de l’artiste suisse, est l’un des événements les plus attendus de la saison théâtrale.


De cette œuvre à venir, on ne sait encore que peu de choses. Comme une phrase de l’auteur, une pièce de Novarina ne se laisse pas facilement deviner, pas plus qu’elle ne se laissera enfermer a posteriori dans un récit. L’artiste lui-même confie avancer à l’aveugle, créer une littérature pariétale, accrocher sur les murs ses feuillets manuscrits, et peindre ainsi son œuvre par décalques des mots de sa main. Il écrit par « ruminations » et par « floraisons », ne décide de l’ordre de l’ensemble qu’à la fin et refaçonne encore et encore la structure et le rythme de son œuvre au contact du plateau. Mais Le Vrai sang, c’est vrai, dans son titre déjà, charrie ce logos charnel cher à Novarina. Ce mot troué, mâché, rongé jusqu’à l’os, jusqu’au sang, et recraché sur scène, vif et neuf, dans sa polysémie poétique. Le vrai sens. Le Vrai sent. Le vrai son. Le Vrai sans… Il y a chez Novarina, admirateur de Mallarmé, un poète qui, pour reprendre les mots du mélancolique professeur d’anglais, exprime « par le langage humain ramené à son rythme essentiel, le sens mystérieux des aspects de l'existence ».

Jean Monomonde, Saporigène ou la Dame du Déséquilibre

Cependant, d’une œuvre de Novarina, par avance, on sait aussi un peu ce qu’elle sera. Dans une note de travail, Novarina situe le modèle-secret de celle-ci dans un Faust forain qu’il a vu dans les années 50. Traditionnellement, l’auteur de Pour Louis de Funès rassemble culture littéraire et populaire pour faire renaître l’émerveillement théâtral de l’enfant qui ne connaissait pas les règles des grands. Dans ce vaste projet d’une trentaine de scènes apparaîtront plus d’une vingtaine de personnages, parmi lesquels, comme souvent, des figures allégoriques, qui auront cette fois pour nom Jean Monomonde, Saporigène ou la Dame du Déséquilibre, entre autres. La scène d’ouverture s’intitulera, elle : « Entrée dans le Mélodrome », et donne déjà à savourer l’inventivité langagière de l’auteur, son humour, et sa propension à créer un théâtre qui s’amuse de ses mises en abyme. L’obsession d’un théâtre de chair et de sacrifice, de rituel et d’instinct affleure, lui, dans le titre. Quant au travail synesthésique, cher à Valère, de correspondances entre les couleurs, les sons, le sens, le sang, le chant… il se donnera notamment à voir à travers une scénographie centrée sur la reproduction d’une toile de l’artiste suisse peinte à Nürnberg et inspirée du Livre de Daniel. D’une création de Novarina, on sait toujours un peu ce qu’elle sera, mais aussi que c’est toujours avec ferveur qu’on l’attend et qu’on la découvrira.

Eric Demey
La Terrasse, janvier 2011 - n°184






La Fin, mise en scène Krzysztof Warlikowski - Théâtre de l'Odéon

Koniec (La Fin)

mise en scène: Krzysztof Warlikowski

d'après Kafka, Koltès, Coetzee

durée du spectacle : 3h50 avec un entracte

en polonais surtitré


d’après :

Nickel Stuff. Scénario pour le cinéma de Bernard-Marie Koltès,

Le Procès et Le Chasseur Gracchus de Franz Kafka,

Elizabeth Costello de John Maxwell Coetzee




adaptation : Krzysztof Warlikowski, Piotr Gruszczyński
dramaturgie : Piotr Gruszczyński
décor & costumes : Małgorzata Szczęśniak
lumière : Felice Ross
musique : Paweł Mykietyn
chorégraphie : Claude Bardouil
vidéo : Denis Guéguin

avec Stanisława Celińska, Magdalena Cielecka, Ewa Dałkowska, Wojciech Kalarus, Marek Kalita, Mateusz Kościukiewicz, Zygmunt Malanowicz, Maja Ostaszewska, Magdalena Popławska, Jacek Poniedziałek, Anna Radwan, Maciej Stuhr


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Comment qualifier « Koniec » (Fin) le nouveau spectacle de Kzrystof Warlikowski créé à l'automne dernier à Varsovie et actuellement à l'Odéon ?

Un journal intime en forme de poème scénique

Ce n'est pas une tragédie même si le tragique y vérole l'existence, ni une comédie même s'il nous arrive de rire d'une femme qui marche comme un dindon un rien militaire. A dire vrai, les catégories théâtrales sont ici caduques. Mieux vaut parler de journal intime ou de poème scénique, ou des deux à la fois.

On oscille entre ces deux termes comme Koniec ne cesse d'osciller, de butiner sans vouloir se poser, sans chercher à inscrire le mot koniec comme il apparaissait naguère à la fin des films polonais, puisque la finitude habite ce lamento qui avance à la vitesse d'une larme qui nous échappe discrètement au détour d'une page relue d'un livre aimé.

Il y eut les grands maîtres de la scène européenne, de Strehler à Grüber, de Brook à Vitez et Fomenko qui œuvraient, et œuvrent encore pour certains, à travers le prisme de grandes textes écrits pour le théâtre.

Aujourd'hui, les Castorf, Lupa, Marthaler, Cassiers s'approprient des œuvres, le plus souvent non théâtrales, pour écrire leurs spectacles « d'après » ces œuvres. Non pour les servir (verbe cher aux pionniers que furent Roger Blin et consorts) mais pour s'en ou se servir. Ce que faisait déjà le polonais Tadeusz Kantor quand il disait « jouer avec Witkiewicz ». C'est ainsi que procède le polonais Warlikowski dans ses derniers spectacles, Apollonia et aujourd'hui Koniec (je mets de côté l'accident industriel que fut Le Tramway).

Visions et saisissements

Dans Koniec, il s'appuie sur trois œuvres d'auteurs aimés, chez qui Warlikowski retrouve une partie de lui-même et de son histoire (un phrasé, une atmosphère, un personnage). Ces textes qui servent d'humus et de boites à répliques, apparaissent comme des fragments d'une autobiographie masquée, trouée, détournée.
Le nom des auteurs ne surprendra pas les spectateurs français qui suivent l'itinéraire de Warlikowski. Par ordre d'apparition :

Bernard-Marie Koltès avec Nickel Stuff un « scénario pour le cinéma » jamais tourné et publié post-mortem ;

Franz Kafka avec deux textes Le Procès et « Le Chasseur Gracchus » ;

John Maxwell Coetzee et son roman Elisabeth Costello .

Ces œuvres où Warlikowski pioche constituent un matériau premier, source de visions scéniques que des acteurs mettent en branle. Les autres éléments du travail jouent un rôle tout aussi déterminant :

  • les décors (et costumes) de Malgorzata Szcesniak qui crée des fenêtres intérieures (parois transparentes ou écran géant pour vidéo) comme le metteur en scène les aime ;
  • la musique de Pawel Mykietyn qui est pour beaucoup dans le climat à la fois calme, blessé et vénéneux qui s'installe avec ici et là des poussées de lyrisme ;
  • la vidéo de Denis Guéguin qui offre un contre-champ aux acteurs en déréalisant leur présence ;
  • la chorégraphie de Claude Bardouil qui contribue à la superbe entrée en matière du spectacle.

Le spectacle avance ainsi par saisissements et visions, loin de toute narration construite logiquement. Des personnages vont et viennent, esquissent des possibles, s'ancrent dans des postures. Warlikowski feuillette son âme (passent des figures de mère, de père, d'amant, d'oppresseur) via un dialogue intime avec des œuvres.

Koltès est pour Warlikowski comme un frère de lait, Kafka un ami proche à qui confier ses cauchemars et ses terreurs, auprès de Coetzee il retrouve une connivence avec le personnage d'Elisabeth qui est une artiste (elle écrit) laquelle traque l'invisible.

Chez Kristian Lupa dont il fut l'élève, l'acteur reste le pivot ; chez Warlikowski, c'est l'espace-temps qui en tient lieu même si ses acteurs polonais sont tous à louer. Cette vision entraîne dans Koniec un émiettement narratif désormais ouvertement revendiqué. Le risque est que le spectacle, par ses ellipses, par son enfermement sur lui-même, éloigne par trop le spectateur. Question de temps, de jeu d'approche. Paradoxalement ce spectacle plutôt long – trois heures quarante –, ne l'est peut-être pas assez.



La Dispute, Marivaux -Mise en scène de Vincent Dussart



Pourquoi être aimé fait-il se sentir plus vivant ?


La Dispute de Marivaux par Vincent Dussart (au Lavoir Moderne Parisien jusqu'au 11 février)

Afin de savoir qui, de l'homme ou de la femme, est le premier infidèle en amour, Marivaux propose une expérience. Quatre jeunes gens, élevés en vase clos depuis le berceau, vont se rencontrer pour la première fois. Sous le regard du Prince, d'Hermiane et du public, ils vont vivre les premières amours.
Au-delà de la fidélité, c'est bien de la relation à l'autre dont il s'agit : qu'est-ce qui se cache derrière le sentiment amoureux, derrière ces sensations bien connues de toute-puissance ou de dépendance ?
Pourquoi être aimé fait-il se sentir plus vivant ?
Des êtres, éperdus du désir de se sentir exister, cherchent à se remplir de l'autre. Face à ce spectacle, Hermiane voit ses certitudes s'envoler. Il ne reste rien d'elle sinon son rôle. Elle non plus ne peut plus jouer…

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La Dispute devait initialement être suivie de l'épilogue contemporain Faim de Bernard Souviraa.
La Compagnie de l'Arcade a finalement décidé de ne présenter que La Dispute au Lavoir Moderne Parisien.

"Que de pays ! Que d'habitations ! Il me semble que je ne suis plus rien dans un si grand espace" (Eglé)

Pour interroger l'objet de la dispute survenue entre le Prince et Hermiane, "Qui de l'homme ou de la femme a été le premier infidèle en amour", le Prince offre en spectacle le résultat d'une expérience initiée 18 ans auparavant par son père.
Deux filles et deux garçons pris au berceau et dressés individuellement en vase clos vont pour la première fois se rencontrer et être confrontés à leur propre reflet : la cour et les spectateurs assistent alors à la reconstitution artificielle du commencement du monde et des premières amours.

Après cette expérience, Hermiane s'avance vers le public. Elle ne dira pas le monologue prévu à la suite de la pièce de Marivaux : l'actrice se désolidarise de son personnage. Elle a un corps et elle a faim, dit-elle aux spectateurs qu'elle supplie : qu'ils ne la laissent pas seule. Elle rêve sans y croire d'une fusion où la question de l'identité actrice/personnage ne se poserait plus. Où la faim serait comblée, enfin.

Sentiment d'exister : ce soi qui ne va pas de soi…

En mettant en présence des adolescents élevés loin du regard des autres, Marivaux ne nous brosse pas le portait de l'enfant sauvage, il crée un dispositif qui met en jeu des êtres humains dont le sentiment d'exister a été mis à mal par l'isolement, et la conscience de soi perturbée.

En proie à une sensation de vacuité, les adolescents de La Dispute cherchent à se remplir de l'autre et de l'image d'eux-mêmes que l'autre leur renvoie. Sans construction égotique, ils dévorent leur reflet et s'y perdent. Ce dernier est démultiplié dans La Dispute : reflets dans la rivière, dans le miroir, portrait… Mais surtout, reflets dans le regard de l'autre, dans l'image fantasmée d'eux-mêmes qui leur est transmise.

Marivaux questionne donc la construction de soi au travers de la relation à l’autre : qu'est-ce qui se cache derrière le sentiment amoureux ? Qu’est-ce que révèlent les relations de dépendance qui lui sont associées ?

"Je" et "jeu"

La mise en scène et le travail avec les acteurs consistent à faire ressentir ce trouble de l'ego, à donner à voir cette défaillance du sentiment d'exister.

Les personnages de La Dispute, fonctionnent tous selon le même schéma.

Ils apprennent tout d’abord à dire "je". Puis la rencontre avec l'autre (le "vous") fait vaciller leur conscience d'eux-mêmes, ils ne peuvent plus se définir, et disent "on". Enfin ils fusionnent dans le "nous", et y perdent leur "je".

De ce schéma relationnel est née une gestuelle – un geste est associé au "je". Chaque personnage apprend le "vous" du "je" de l'autre – le "on" est une incapacité à bouger – le "nous" est l'association des deux "je".

Il s'ensuit donc un travail quasi-chorégraphique né du trouble de soi où le ballet des rencontres vient perturber la conscience que chacun a de lui-même.

Une suite pour La Dispute

Polyphème, le cyclope de L'Odyssée, perd son pouvoir lorsque le rusé Ulysse lui crève son œil unique : était-ce donc par le regard que l'ogre était anthropophage ?

C'est ce cannibalisme des yeux qui semble être à l'œuvre dans La Dispute de Marivaux, pièce tardive et décidément à part dans la carrière de son auteur.

À la fin de La Dispute, Hermiane déclare qu'elle en a assez vu et ne désire pas en voir davantage, elle qui était à l'origine si avide de découvrir ce que le Prince avait à lui montrer. Comme les livres, Marivaux nous indique que les spectacles se dévorent, avec cette particularité qu'ils peuvent en retour nous dévorer – nous hanter. Voilà l'expérience à laquelle Hermiane est confrontée, et avec elle le spectateur, puisque leurs regards ici s'abîment ensemble.

Qu'a-t-elle exactement vu, Hermiane ? Sans doute le désir insatiable mettant en péril l'idée courtoise de l'amour complémentaire et parfait. Et les virtuosités langagières de Marivaux d'être abattues en plein vol devant ce constat déchirant : les êtres saisis dans leur essence habitent la rage du désir et l'amour les indiffère.

Pauvre Hermiane qui – trop tard – voudrait ne plus voir... À moins que...

Vincent Dussart, au fil d'une après-midi de confidences, m'a demandé d'écrire un texte sur le vide, pour un épilogue contemporain à La Dispute. Il m'a demandé le vide, je lui ai donné l'avidité, c'est-à-dire la faim. Non l'état mais le besoin effréné.

Il m'est alors apparu que la seule manière d'affronter le ridicule d'écrire un texte « en regard » de celui de Marivaux était de faire venir Hermiane au bord du plateau pour qu'elle s'y dépouille, plus précisément s'y dissolve et qu'apparaisse à nu l'actrice qui l'interprète, pour laquelle ce texte est spécialement écrit. Que l'actrice et le texte d'aujourd'hui prolongent impuissants – impuissants mais affamés – cette trace fulgurante laissée par Marivaux, cette traînée de poudre mise en scène par Vincent Dussart.

Bernard Souviraa

  • La Dispute / Faim a été présentée au mail à Soissons le 17 décembre 2010.