Patrice Chéreau : "Jouer avec ce qu'on ne cadre pas"


La Master class de Patrice Chéreau, le 17 mars au Forum des images, à Paris




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Les Transversales de Patrice Chéreau, Gérard Pernon
Entretien au cours d'un hommage rendu par Rennes 2 en 2008 (Ouest-France)
Patrice Chéreau était en cours de tournage de son film,  Persécution


 La Lutte de Jacob avec l'Ange, Eugène Delacroix (1861)
Chapelle Saint-Sulpice, Paris



Un film tourné au plus près de l'être, à fleur de peau. « C'est ce que je cherche. »

« La différence entre le cinéma et le théâtre, c'est le gros plan. »  

"Jouer avec ce qu'on ne cadre pas" 


Arrivé hier à Rennes, présent aujourd'hui, Patrice Chéreau accompagne un hommage qui lui est rendu par Rennes 2, à travers tables rondes et projections.
Patrice Chéreau a accepté de laisser en plan son dernier film, Persécution, pour venir à Rennes participer à une série de tables rondes sur son travail artistique. « Que des gens réfléchissent à ce que je fais, ça me flatte d'abord, ça m'intéresse aussi. Vous savez, moi quand on ne me demande rien je ne dis rien... » Lorsqu'on lui demande s'il se sent « connu », il fait la moue. « Le grand public me connaît, il sait que mes films ne sont pas pour lui » Cela le fait sourire. « Il connaît mon prénom, en fait. Un jour, quelqu'un m'a félicité pour le film Ridicule, de Patrice Leconte. »
Avec Persécution, cet homme qui ne supporte pas de se répéter travaille avec une nouvelle génération de comédiens, Romain Duris et Charlotte Gainsbourg. « Je connais Charlotte depuis longtemps, je connais sa mère, je connaissais son père. Quant à Romain, je l'avais vu dans le film de Jacques Audiard, De battre mon coeur s'est arrêté, et je me suis dit que je voulais travailler avec lui. C'est fait. » Le montage du film devrait être bouclé en février.
Explorer le cinéma
D'ici là, Patrice Chéreau aura travaillé à l'opéra Tristan et Isolde de Wagner, qu'il doit monter à la Scala, à Milan, et à la reprise de l'opéra de Janacek, De la maison des morts, promis à New York, avec des chanteurs et des comédiens américains. « Je n'ai pas d'autre projet à l'opéra aujourd'hui », assure-t-il, en tout cas pas avec son complice Pierre Boulez, puisque le chef souhaite se consacrer désormais à la musique orchestrale. Il n'en reste pas moins que l'opéra, qui relève aussi du théâtre, et le cinéma l'excitent actuellement plus que le théâtre.
« J'ai vécu des choses exceptionnelles au théâtre. J'ai dirigé trois théâtres, j'ai rencontré des gens exceptionnels, dont l'auteur Bernard-Marie Koltès, que j'ai aidé à faire connaître... J'ai eu beaucoup de chance. C'est difficile de reproduire de tels moments. » Et donc, « je préfère explorer le cinéma, parce que je lui ai moins donné jusque-là. Et puis j'y suis moins soumis à l'auteur... » Précieuse idée d'un metteur en scène qui affirme comme un principe de base : « J'aime le texte. » Chéreau souscrit à l'idée de Bergman : « La différence entre le cinéma et le théâtre, c'est le gros plan. » Il ajoute : « Et le cadrage... Jouer avec ce qu'on ne cadre pas. »
Mais « je n'ai pas envie de choisir », déclare-t-il. Et donc, il est appelé à jongler avec ces moyens d'expressions, comme Ingmar Bergman à qui il fait songer. « N'oubliez pas Elia Kazan, Lucchino Visconti... C'est toute une génération. » Dans un monde spécialisé, cet artiste revendique sa liberté. Tous les moyens lui permettent de creuser la relation entre les êtres humains, d'en extraire les énergies qui y circulent. Pas besoin de gros moyens pour ça. « J'ai tourné Son frère parce que je n'avais pas de projets, peu de moyens... » Un film tourné au plus près de l'être, à fleur de peau. « C'est ce que je cherche. »


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Au théâtre, l'empreinte indélébile de Patrice Chéreau, Fabienne Pascaud 

"sa grâce, sorcière, somme de solitude et d’obstination, d’orgueil fou et d’ambition folle a quelque chose d’irrésistible. "

Hommage | Spectateur forcené, metteur en scène vorace, avec Patrice Chéreau, mort lundi 7 octobre, l'art du beau passait par la violence. Mais sa grâce sorcière le rendait irrésistible.
C’était un homme de désirs. De pulsions. Frénétique. Vorace. Il suffisait de l’observer manger à la dérobée. A amples bouchées et vite, très vite. La tête basse, penchée sur l’assiette. Comme un paysan dont il avait les mains noueuses. Des mains d’artisan aussi, comme le père et la mère, peintres qui ont forgé son œil, ses exigences jusqu’auboutistes d’artiste.
Patrice Chéreau, qui vient de mourir à 68 ans, pouvait être violent. C’est aussi ce qui faisait sa grâce. Son art du beau, de l’absolu raffinement appris par la parentèle, développé chez le maître Giorgio Strehler – quand il était parti au Piccolo Teatro de Milan après la faillite du Théâtre de Sartrouville qui lui avait été confié (1969) – et sa brutalité, sa science des rapports de force, de la violence des êtres, puisés sans doute dès l’adolescence de son admiration pour Bertolt Brecht et son théâtre physique, matérialiste, descriptif. Chéreau fut toujours un spectateur forcené. Encore étudiant, il lui arrivait de prendre le train pour filer à Berlin assister aux répétitions du Berliner Ensemble. Comment faisait-il pour s’infiltrer là-bas, jeune et inconnu ? Il était diaboliquement beau, fin, et décidé, le regard perçant, la voix profonde, grave et intelligente et étonnamment… silencieuse.
Les grands acteurs brûlent
d'être broyés par ce « Patrice »
dont ils chuchotent
le prénom avec adulation
Déjà, on ne pouvait lui résister. Echapper à sa passion pour la scène, à son obsession d’y révéler les errances du désir, les abîmes de la passion, les vertiges des corps qui s’attirent ou se repoussent, s’étreignent ou se cognent..
Personne n’a jamais résisté à Patrice Chéreau. De Roger Planchon qui dès 1970 et jusqu’en 1981, le prend avec lui comme co-directeur du TNP de Villeurbanne où il montera les très historiques Dispute de Marivaux et Peer Gynt d’Ibsen. Jusqu’aux nombreux et grands acteurs qui brûlent sans fin d’être dirigés par lui, d’être broyés aussi par ce « Patrice » dont ils chuchotent le prénom avec adulation. Même après les insondables et douloureux huis-clos des répétitions, qui les révèlent si dangereusement à eux-mêmes, quand ils ne les détruisent pas, les comédiens vénèrent Patrice Chéreau.
[[129671]]C’est que sa grâce, sorcière, somme de solitude et d’obstination, d’orgueil fou et d’ambition folle a quelque chose d’irrésistible. Dès le lycée Louis le Grand, avec l’ami Jean-Pierre Vincent, il mettait en scène des pièces inconnues de Victor Hugo, L’Intervention (1964) ou de Lope de Vega, Fuenteovejuna (1965) et parvenait à attirer ses premiers critiques…
Il n’a jamais été en revanche homme facile. Pas toujours agréable d’accès, parfois misogyne, lui qui dans ses spectacles habillait si volontiers ses comédiennes dans des sacs et les enlaidissait comme à plaisir. La journaliste que je suis, se souvient même d’entretiens avec lui, ou de ce portrait-documentaire d’une heure aussi, réalisé par Pascal Aubier pour l’Ina à la fin des années 80 quand Chéreau dirigeait encore le théâtre des Amandiers de Nanterre (1982-1990). On avait dû le titrer Epreuves d’artiste, tant le metteur en scène s’y montrait excédé par les questions …
On parlait peu de sa maladie,
ou à mots feutrés, comme si
on redoutait d’attirer le mauvais sort.
Mais comment aborder Patrice Chéreau, maître des rapports de force au théâtre comme au cinéma, si habile à décrypter les violences, les désirs, les faims, sous la peau de chacun, dans les nerfs, les muscles de chacun. C’était le metteur en scène de la chair – triste le plus souvent – le metteur en scène de la matière même des hommes et des femmes, de ce qui les fait jouir ou mourir.
Il vient de disparaître à 68 ans – il allait en avoir 69, le 2 novembre – il souffrait d’un cancer du poumon depuis trois ans et demi. Sans avoir jamais cessé de travailler, remportant un triomphe au Festival d’Aix cet été pour sa mise en scène d’Elektra de Richard Strauss, travaillant jusqu’à la veille de sa mort avec Yves Bonnefoy sur la traduction de Comme il vous plaira de Shakespeare qu’il devait créer en mars 2014 à l’Odéon Théâtre d’Europe.
Dans le milieu du théâtre, on parlait peu de sa maladie, ou à mots feutrés, comme si on redoutait d’attirer le mauvais sort. A force, on avait presque fini par penser qu’il l’avait domptée, lui qui était si obstiné, si volontaire. Lui qui tel son maître Strehler, croyait encore au règne, à la domination de la beauté, de la représentation ; à l’harmonie de la forme pour orchestrer, battre en brèche la cruauté des passions et des hommes. Lui qui était si fort dans la maîtrise de la matière, sans autre sublimation que la beauté de la forme. Aucune rédemption, aucun salut divin, et peu de spiritualité dans l’œuvre si humaine, si terriblement humaine de Patrice Chéreau.
Mais la mort comme toujours a vaincu. Pas tout à fait. Patrice Chéreau disparaît juste avant que ne commence au Théâtre du Rond-Point Les Visages et les corps, un spectacle mis en scène et joué par son ami Philippe Calvario et tiré d’un texte écrit en 2010 pour sa grande collaboration au Musée du Louvre. Un texte d’aveu et de confidences sur son travail, ses amours, ses doutes. L’artiste s’en va avant que ne soient révélés à haute voix ses secrets. Il garde sa part d’ombre. On ne l’interrogera plus là-dessus


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D'Isabelle Adjani à Dominique Blanc, Patrice Chéreau réconté par ses acteurs,  
18 janvier 2003, Télérama n°2766

Le metteur en scène a marqué tous les comédiens qu'il a dirigés. Petit précis de la méthode Chéreau, illustré par les témoignages de ses adeptes.

Prononcez son nom à l'oreille de ses comparses, et toute crainte d'enterrement de première classe disparaît. Chéreau : cher... haut... à l'unanimité. Même les âmes blessées, qui refusent de panser leurs plaies par voie de presse, jurent que les bons souvenirs l'emportent. Impossible, donc, que cette ronde d'acteurs ressemble à une danse macabre. On est plus près du tango transi. « C'était Rimbaud ! », « L'engagement total dans le total détachement... », « Même les portes cochères étaient amoureuses de lui... », disent les complices des années 70, qui n'oublieront jamais (entre autres) son Richard II, violent, sensuel et décalé, qui rouvrit le Théâtre de l'Odéon après Mai 68. « Un Picasso qui a dépoussiéré son art... », « Un créateur de vocations... », « Dites-lui que je l'aime... », chantent ceux des années 80, âge d'or du Théâtre des Amandiers de Nanterre, où Chéreau fit (entre autres) découvrir un auteur sec et bouillonnant, Bernard-Marie Koltès.. « Une sage-femme qui accompagne le travail jusqu'au bout... », « Un combattant », « Avec lui, la lumière vient... », ponctuent les acolytes des années 90, qui le regardent enchaîner pièces, films et opéras sans rien perdre de sa méticulosité vorace.

Patrice Chéreau évoque son travail sur les textes de Bernard-Marie Koltès,
au Cercle de minuit, sur en 1995. (Durée : 11'32'')
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Le comble, c'est que tous argumentent leurs compliments. Les acteurs de « Patrice » parlent beau, comme s'ils revenaient d'un voyage en terre d'intelligence. De quoi rédiger un petit précis de la méthode Chéreau, dont le premier chapitre pourrait emprunter son titre à un manuel de voyance : « De l'art de faire tourner les tables ».
Tous les comédiens rencontrés n'ont que cette exclamation bizarre à la bouche : « Ah... Ses lectures à la table ! » Travailler avec Patrice Chéreau, cela commencerait donc par s'asseoir sur une chaise face à lui, ouvrir son livre et lire à voix haute. La pratique est courante au théâtre, mais Chéreau l'applique comme personne. En profondeur et en longueur, parfois pendant plus d'un mois. « Ce sont d'indicibles moments de grâce », assure Hugues Quester, les yeux écarquillés sur ce passé mythique, où il répétait La Dispute, de Marivaux, ou Toller, de Tankred Dorst. « Il retient la virginité du texte, empêche les acteurs de le violer en parlant fort et s'assure que chaque mot est intimement compris par tous. »

Jane Birkin (La Fausse Suivante, de Marivaux, 1985) :

« C'était un docteur magique, il trouvait une solution à tout. Il relevait toujours les moments où j'étais bonne, et savait dire pourquoi : à cause de trois secondes de pause, d'un mouvement de tête, d'un doute dans les yeux. Travailler avec lui a changé ma carrière. Sans lui, je n'aurais jamais eu le courage de chanter sur scène... »

Patrice Chéreau impose l'exercice pour tous ses films, habitude rarissime au cinéma. Seule Simone Signoret s'en est plainte, sur le plateau de Judith Therpauve, ronchonnant qu'elle ne croyait qu'à la beauté de la première prise. Que se passe-t-il de si particulier pendant ces psalmodies rituelles hors caméra ? Une intimité se crée, des ondes circulent, une mission commune se cristallise. Charlotte Rampling en a découvert les mérites à l'époque de La Chair de l'orchidée (1975) : « L'éloquence de Patrice Chéreau est fascinante. Il est si proche de ses sentiments qu'il les exprime dès qu'il ouvre la bouche. Après ce travail de lecture, l'acteur se sent protégé, il est prêt à prendre tous les risques. »
Si Jean-Hugues Anglade ne s'était pas cramponné « à la table », il n'aurait jamais pu affronter son rôle magnifique (« vraiment pas évident à l'époque ») d'homosexuel découvrant l'amour, dans L'Homme blessé : « Je débutais, et j'avais très peur de mon personnage. Pour que je ne m'affole pas, Patrice m'a désossé tout le scénario. On a pointé les moments charnières du héros, tous les glissements de dialogues qui révélaient son évolution. Ça m'a incroyablement sécurisé. » Future interprète de Phèdre, Dominique Blanc évoque les lectures de La Reine Margot avec le même trémolo dans la voix : « On était vingt autour de la table. Il nous parlait de Bacon, de Scorsese, de Coppola, réclamait qu'on se livre, qu'on invente. Et en même temps, pendant qu'on lisait, on sentait qu'il étudiait notre physionomie à chacun, qu'il imaginait déjà le rendu à l'écran de nos visages et de nos corps... »
Reportage sur le tournage de L'Homme blessé en 1983.
Corps. Le mot est lâché. Au cours de ces étranges cérémonies littéraires, Patrice Chéreau cherche le passage secret qui mène du cortex à l'épiderme. La cantatrice Waltraud Meier, qui chantait arc-boutée comme une danseuse vaudoue, dans sa mise en scène de l'opéra Wozzeck, en a fait l'expérience : « Avec Patrice Chéreau, tous les mouvements sortent de la pensée. Il ne dit pas à l'acteur, au chanteur, bouge ainsi, mets-toi là. Il lui parle d'abord de l'émotion qui doit l'habiter. Mon mouvement disait à la fois la défense et l'amorce du désir. Je n'ai jamais réfléchi intellectuellement à la façon de traduire cette contradiction. Mon corps l'a matérialisé de cette façon » (1).
L'intitulé du chapitre 2 sera donc sportif : « De l'art du corps-à-corps ». Artiste touche-à-tout, Patrice Chéreau n'a pas encore chorégraphié de ballet. A moins qu'il n'ait jamais rien fait d'autre. Son propre corps est déjà un instrument de travail primordial. A la fois taureau et torero, lion et dompteur, il est célèbre pour arpenter les plateaux à grandes enjambées, comme un marathonien de haut niveau. Catherine Hiegel, qu'il extirpa brièvement de la Comédie-Française pour jouer dans Quai ouest, de Bernard-Marie Koltès, se souvient de sa fureur animale : « Il ne ménageait pas son énergie, et mettait sans cesse à l'épreuve son corps dense et musclé. Il se fichait de son apparence, portait toujours le même jean, la même veste, ne disciplinait jamais ses épis dans ses cheveux. Il transpirait comme un boeuf, mangeait comme un chien, avec une rapidité folle, pour en finir au plus vite avec ce qui ne l'intéresse pas. »

Daniel Emilfork (Richard II, de Shakespeare, 1970) :

« Patrice avait des intuitions d'adolescent grandioses. Comme cette idée de génie : porter sa couronne dans un petit panier. Il a été sublime dans ce rôle. Pas bien. Sublime ! On faisait des gorges chaudes sur notre travail à deux, on ne me prenait pas au sérieux. Pourtant, il a toujours reconnu que j'ai été “son” acteur, et qu'il a été “mon” acteur. »

Ange gardien, alter ego, seconde peau, Chéreau aime coller physiquement aux acteurs. Comme son père peintre, il a besoin de travailler la matière, de la pétrir de ses fameuses mains, colossales, noueuses, papillonnantes. « Il appuie sur les points névralgiques, il resserre les boulons ; il somatise le jeu », résume Jean-Hugues Anglade. « Il y en a qui ne supportent pas, reconnaît Pascal Greggory, à l'affiche de Phèdre, après avoir été révélé avec Dans la solitude des champs de coton. Il se tient constamment à 2 centimètres de nous. Il dirige vraiment la chair. »
Tous disent garder, pour le restant de leur carrière, l'empreinte de sa main sur leur épaule, la sensation de son souffle dans leur oreille. Comme une présence inaltérable, pas comme un traumatisme. Fidèle de longue date, la comédienne Michèle Marquais n'a jamais surpris le moindre accès de tyrannie chez Patrice Chéreau : « Il n'est jamais au-dessus, il est avec, il est dedans. C'est pour ça qu'il est incapable d'exercer le moindre pouvoir. Il ne se sent investi d'aucune mission. Il est dans la création pure, presque anarchique. Ni Dieu ni maître. On fait tous partie de la même horde, avec un seul et même but : l'organisation du chaos. »
Bande-annonce de Ceux qui m'aiment prendront le train avec Pascal Greggory.
Cet objectif ne s'atteint pas sans souffrance. Mais les acteurs semblent consentants. Prêts à « mordre dedans », pour reprendre la consigne fétiche de Chéreau. A « gagner un round de boxe », dit Jean-Hugues Anglade. A « se déchirer, avoue Marianne Denicourt, ,ancienne élève de l'école des Amandiers à Nanterre, à se surpasser, pour le séduire. La légèreté, la vulnérabilité ne l'intéressent pas. Ce qu'il veut, c'est de la force, de la poigne, de la résistance. Il m'a formée pendant quatre ans. Ça marque. Depuis, je suis désemparée quand un metteur en scène n'épuise pas toute mon énergie ».
Infatigable depuis trente-cinq ans, Patrice Chéreau n'a qu'un moteur : l'insatisfaction perpétuelle. Remonter les fleuves qu'il vient de descendre, affronter ses propres contradictions, rien ne lui fait peur. « Je ne ferai plus de théâtre », jurait-il encore récemment. Et voilà qu'il y revient quand même, parce que rien ne l'effraie plus que les affirmations définitives. « C'est beau, cet éternel recommencement, admire Hugues Quester. Patrice va toujours très vite dans sa vie, il a peur, il est dans un vertige. Il a ce désir romantique de rompre pour aller ailleurs, puis de revenir, affamé, à la case départ. »
Aujourd'hui, cette case départ s'appelle Phèdre. Des semaines durant, Patrice Chéreau a passé les alexandrins de Racine « au scanner », « au marteau-piqueur », racontent les comédiens, à cours de métaphores perforatrices. Pour donner à entendre la pièce comme un opéra. « Pour briser le carcan numérique, éviter tout phénomène de ronronnement ou d'hypnose », explique Philippe Calvario, collaborateur artistique. « Pour faire saigner cette langue à la fois logique et passionnelle », précise Dominique Blanc, qui a percé à jour les véritables motivations de son metteur en scène : « Revenir au théâtre avec le mythe fondateur de Phèdre, c'est effectuer un violent retour aux origines. Patrice Chéreau s'est engagé dans cette aventure pour revisiter l'histoire de l'humanité à sa source. Quand il aura compris pourquoi cette femme est entrée dans la lumière pour devenir un mythe fondateur, alors il pourra prendre son élan pour attaquer, au cinéma, un autre personnage mythique : Napoléon. »