The
Fountainhead,
roman d'Ayn Rand (1943) mis en scène à l'Odéon-Théâtre de
l'Europe par Ivo Van Hove (novembre 2016), adapté à l'écran par
King Vidor : "Le Rebelle" (1949)
Ayn Rand : « l'ego de l'Homme est la source
vive du progrès humain » (man's ego is the fountainhead of
human progress).
www.theatre-odeon.eu/fr/2016-2017/spectacles/fountainhead
Être ce que l’on est, créer ce que l’on doit,
sans aucune concession : pour l’architecte Howard Roark, cela va de
soi. Pour Peter Keating, son condisciple, il faut au contraire
écouter les clients, répondre à leur demande. Retentissant sur
leur vie intime, leur art, leur position sociale, les choix des deux
hommes les conduisent jusqu’au choc... Quelle est l’essence de la
création ? Ivo van Hove porte à incandescence une saga aussi
célèbre aux USA que peu connue en France, un des grands succès du
Festival d'Avignon 2014.
Ivo van Hove s’est d’abord fait connaître par
ses versions théâtrales de grands scénarios filmiques signés
Cassavetes, Bergman ou Duras. The Fountainhead aurait pu
être l’un de ces scénarios : l’auteur du roman,
l’Américaine Ayn Rand, l’a adapté elle-même pour le cinéma.
Cette fois-ci, van Hove a voulu repartir de l’œuvre originale,
publiée en 1943. Van Hove lut les 700 pages du texte « presque
d’une traite » et prit sa décision aussitôt. Une question
essentielle pour lui, posée et résolue avec une netteté presque
didactique par Ayn Rand, avait d’emblée retenu son attention : «
Quelle est l’essence de la création ? »
Selon Ayn Rand, toute entrave imposée à la liberté
créatrice du talent individuel est à proscrire. En conséquence,
l’altruisme, sous son masque de générosité, n’est qu’une des
formes les plus insidieuses de l’aliénation, par laquelle
l’individu créateur se laisse persuader de sacrifier sa force et
sa supériorité sur l’autel d’un prétendu « intérêt
collectif ». En revanche, si ce créateur-artiste tient bon et
protège sa singularité en assumant jusqu’au bout son « égoïsme
», il peut dès lors accomplir son œuvre et se montrer du même
coup d’une réelle utilité pour ses congénères. L’être humain
qui se porte à la hauteur de son don pour réaliser la tâche qui
lui est assignée est ainsi une « source vive » (fountainhead)
dont découlent les seuls éléments d’un progrès réel
s’accumulant à travers les âges, pareils aux gratte-ciel dont
l’ensemble a construit peu à peu la beauté inouïe du skyline
new-yorkais.
Howard Roark est un tel héros de la création.
Étudiant en architecture, il est confronté à un choix décisif :
soit renoncer à son originalité, soit être expulsé de la faculté.
Roark n’hésite pas un instant. Prophète et martyr de sa vérité,
jamais il ne fait de concessions. Son art est à l’image de son
intégrité : tout d’un bloc, à prendre ou à laisser. Pas
étonnant qu’un homme d’une telle nature soit montré par Ayn
Rand attaquant lui-même le granit à coups de marteau-piqueur dans
une carrière. Peter Keating, son condisciple, croit faire le choix
inverse : faire ce qu’on attend de lui, admettre la négociation,
s’intégrer au système et en tirer profit tout en servant la
collectivité. À vrai dire, Keating n’est pas confronté au même
choix que Roark – car il est dépourvu de véritable puissance
créatrice. Mais plutôt que de l’admettre, par ambition et vanité,
il s’aveugle et manœuvre pour usurper une position qui ne devrait
pas lui revenir...
Tout au long de son énorme best-seller,
Ayn Rand détaille les tribulations de l’homme de pierre qu’est
Roark, livré aux attaques et au ressentiment des hommes de papier
qui l’entourent : dessinateurs, plumitifs en tous genres, juristes
et autres parasites. Ivo van Hove, lui, a voulu rendre leurs chances
à tous les combattants. Plutôt que de condamner Keating d’entrée
de jeu, il a choisi de « réévaluer » la position qu’il adopte.
Et tout au long de la démonstration qu’a construite la romancière,
l’homme de théâtre a disposé ses propres questions, comme autant
de charges explosives pour ébranler son édifice de certitudes : «
L’art doit-il accepter de s’impliquer dans la vie de tous les
jours ? L’artiste doit-il être isolé ? Comment survivre en
faisant des productions artistiques à l’intérieur du système ? »
Sa réponse de metteur en scène, créée en juin 2014, fit peu après
l’événement au Festival d’Avignon.
Réalisation par Sophie-Aude Picon, entretien par Arnaud Laporte
Lundi 7 Novembre 2016
Textes lus par Juliette Binoche et Éric
Ruf.