Une
Année sans été,
Catherine Anne (1987-1999) :
mise
en scène de Joël
Pommerat et
de La
Compagnie Louis Brouillard (2014)
http//tempoetheatre.blogspot.com
à
Berthier-Odéon, 17ème (Petite salle) du 4 au 30 avril (durée :
1h10)
avec
Carole Labouze,
Franck Laisné,
Laure Lefort,
Rodolphe Martin,
Garance Rivoal
Rencontre avec
l'équipe artistique le mardi 29 avril à l'issue de la
représentation (aux Ateliers Berthier, Petite Salle)
"Je
leur demande d'être les enfants de leurs parents, c'est tout."
Joël Pommerat,
Théâtres en présence
"Personne
ne pense qu'il y a en eux une enfance en train de se perdre"
GERARD
Une
année sans été
de
Catherine Anne
(1987-1999)
"Est-il
possible, pense-t-il, qu'on n'ait encore rien vu, reconnu et dit de
vivant ?"
Rainer-Maria
Rilke, Les
Cahiers de Malte Laurids Brigge (1910)
"Il
me paraît toujours merveilleux que nous ayons eu devant les yeux, au
temps de notre jeunesse, d'aussi purs poètes. Mais je me le demande
avec une secrète inquiétude : des âmes aussi totalement consacrées
à l'art lyrique seront-elles possibles à notre époque, avec
les conditions nouvelles de notre existence, qui arrachent les hommes
à tout recueillement et les jettent hors d'eux-mêmes
dans une fureur meurtrière, comme un
incendie de forêt chasse les animaux de leurs profondes retraites ?"
Hommage
de Stefan Zweig à Rainer Maria Rilke
(cité
par Patrick Modiano dans la préface des Cahiers de Malte
Laurids Brigge de Rilke)
A
Joël Pommerat
A
Léah et au "génie adolescent"
à
Christophe et "aux Muses orphelines"
au
"Dormeur du val"
à
Rainer Maria Rilke et à Stefan Zweig
à
l'enthousiasme, au jeu.. et au recueillement
à
"l'art vivant"
O
O
Fragilité
violente de la jeunesse
Une année sans
été, cela laisse trois saisons, une par acte, commençant par
l’automne – temps des rentrées, donc des départs et des
migrations. Gérard veut écrire, il va partir de chez lui, loin de
sa ville natale et des bureaux de son père. Gérard a dix-neuf ans,
il est bien jeune pour être prudent : une fois à Paris, il avisera.
En attendant, tout à son exaltation, il est aussi lyrique que décidé
– mais pour peu qu’on l’écoute vraiment et qu’on prenne
garde à son projet, le voilà déjà moins sûr d’avoir fait le
bon choix. Celle qui l’écoute si profondément, qui l’interroge
et l’encourage dans son français maladroit d’Allemande, est à
peine plus âgée que lui. Elle aussi voudrait écrire ; elle non
plus ne va pas tarder à s’en aller, mais plutôt du côté de
l’Angleterre. Avant de traverser la Manche, Anna viendra cependant
rendre visite à Gérard. Dans une rue froide de Paris, il lui
raconte sa solitude et lui demande en vain de rester, comme s’il
n’avait pas vu avec quelle douceur attentive la petite Louisette,
la fille de sa logeuse, veillait sur lui à mesure que les journées
se faisaient plus courtes... Ainsi commence Une année sans été, la
première pièce qu’a publiée Catherine Anne en 1987. De ses cinq
personnages – deux hommes, trois femmes – aucun n’a plus de
vingt ans. L’intrigue est simple et hasardeuse. Les rencontres se
font en tâtonnant, les amitiés se nouent puis se défont, les
sentiments se dessinent tant bien que mal tandis que les questions se
bousculent, maladroitement, cruellement.
Illustration
de couverture : Kasimir S. Malevitch buste de femme 1928-1932
Pour son coup
d’essai, Catherine Anne (qui dit de son texte qu’il fut
«librement inspiré par la vie et l’œuvre de Rainer Maria
Rilke») a réussi une pièce habitée par la fragilité violente
de la jeunesse. Car il n’est question que d’elle. Tout ici en
parle, et du besoin de s’arracher à la «mort sédentaire» pour
trouver sa voie ou s’exposer à son tour au monde, entre besoin
d’amour, désir de créer et urgence du mouvement. Joël Pommerat,
sensible à cette jeunesse d’un temps révolu, a suffisamment aimé
cette pièce pour désirer la mettre en scène. Pour cela, il ouvre
une parenthèse dans sa propre carrière de «créateur de
spectacles» afin de se mettre au service d’une autre écriture que
la sienne. C’est donc à travers sa vision que nous sera révélé
ce qu’il advint de la saison manquante – et comment, dans ces
destins presque sans histoire, le couperet de la grande Histoire
finira par s’abattre.
"Des
graines pour replanter la forêt spirituelle."
Philippe
Jaccottet
A
propos d'une suite de poèmes (Une
Transaction secrète, p.336)
"Mais
la consigne est de poursuivre la marche, et la société ne consiste
pas plus en familles que le voyage ne se réduit aux gîtes d'étape
qui suspendent momentanément son cours. Des familles dans la
société, on peut dire, comme des pauses dans le voyage, qu'elles
sont à la fois sa condition et sa négation."
Claude
Lévi-Strauss, Le Regard éloigné
(p.92)
O
O
Entretien
avec Joël Pommerat
Un sentiment de
nostalgie
Ce projet est
unique dans le parcours de Joël Pommerat et de ses collaborateurs.
Il a pour objectif de mettre en situation de création un groupe de
jeunes gens, comédiens mais pas seulement, entourés des
personnalités habituelles de la Compagnie Louis Brouillard, afin de
leur transmettre une expérience artistique et professionnelle. Pour
pouvoir se consacrer entièrement à ce projet d’accompagnement et
de transmission, Joël Pommerat a décidé exceptionnellement de ne
pas écrire et de partir d’une œuvre déjà existante : Une
année sans été, de Catherine Anne.
Pourquoi
un projet de transmission ?
On m’a
beaucoup sollicité pour intervenir dans des écoles de théâtre,
pour travailler avec de jeunes comédiens de ces écoles. J’ai
quasiment toujours décliné. Je ne me sentais pas très à l’aise,
comme en contradiction avec une conviction essentielle qu'on pourrait
résumer comme ceci : devenir comédien ou artiste ne s’apprend
pas, et surtout, l’école est bien souvent un lieu de
déresponsabilisation. Le terme d’école en lui-même, qui induit
un rapport d’élève à maître, me paraît problématique. Ma
conviction : c’est en plaçant les personnes dans les
conditions réelles de la création et de la vie d’un spectacle sur
la durée qu’on les fait mieux évoluer et grandir. J’ai eu envie
aujourd’hui de mettre en place, avec ma compagnie, un projet qui
soit une réponse concrète à ces interrogations et convictions.
Projet que j’aimerais inscrire dans la durée, et renouveler tous
les trois ans.
Pourquoi
un texte d’un autre auteur ?
Dans ce cadre,
je ne me « sentais » pas d’aborder le théâtre de la
même manière que d’habitude. Ne pas écrire, me tenir un peu en
retrait, cela me permettra de me consacrer entièrement à
l’accompagnement des jeunes gens embarqués dans ce projet.
Et
pourquoi ce texte-là ?
Ce texte, à ma
connaissance, est le premier de Catherine Anne. Il met en scène cinq
jeunes garçons et filles confrontés aux grandes questions de
l’existence : la création (au sens artistique et
existentiel), la question du devenir, de la responsabilité face à
son avenir, ainsi que l’amour et la mort. L’action se situe au
début du XXe siècle. L’écriture est simple, épurée. Elle
laisse un espace très ouvert à l’imagination et même à
l'abstraction. La parole sonne juste. Catherine Anne a trouvé un
équilibre entre romantisme, sentimentalisme et cruauté. Noirceur et
légèreté. J’aime beaucoup cela. C’est une pièce très
pertinente sur la jeunesse. L’entrée dans l'âge adulte, le
passage entre enfance et âge adulte. Le bousculement des questions
propre à cette période de la vie, l'enchevêtrement des désirs et
des peurs, la révolte contre l’ordre établi, les parents et le
besoin de créer de nouveaux repères, la tension entre utopie et
recherche d’authenticité. Il y a bien sûr quelque chose de décalé
dans ce portrait de la jeunesse – l’action ne se situe pas
aujourd’hui mais il y a un siècle. Et c’est peut-être ça aussi
qui touche : cette impression que quelque chose est dépassé,
qu'un palier de modernité a été franchi, de manière inexorable à
mon avis depuis une dizaine d’années. D’où un sentiment de
nostalgie que je ressens aussi très fort.
Trois questions
posées à Joël Pommerat, 19 avril 2013
Site de
l'Odéon-Théâtre de l'Europe : www.theatre-odeon.eu
Une année
sans été de Catherine Anne : "Aller plus loin"
: 19 avril 2013
Une
année sans été de
Catherine Anne
(1987-1999)
mise
en scène de Joël Pommerat et de la
Compagnie Louis-Brouillard (2014)
à
Berthier-Odéon, 17ème (Petite salle) du 4 au 30 avril 2014
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Extrait
:
GÉRARD. Mon
père est dans son bureau.
MLLE POINT. Non
monsieur. Monsieur est absent. Nous sommes jeudi.
GÉRARD.
Jeudi...
MLLE POINT.
L'après-midi du jeudi monsieur s'absente.
GÉRARD.
Monsieur s'absinthe.
MLLE POINT.
S'absente monsieur.
GÉRARD. Chaque
jeudi.
MLLE POINT. Oui
monsieur.
GÉRARD. Je ne
savais pas. Bien. Très bien. Dites-lui. Dites-lui adieu. Son fils
part.
ANNA. Vous
partez ?
GÉRARD. Oui. Je
vais à Paris. Pour travailler. écrire. Mon père comprendra.
Dites-le-lui.
MLLE POINT. Bien
monsieur.
GÉRARD. Je
cavale vers la ville éblouissante. J'échappe à la crasse tenace
des années passées. Croyez-moi ! je dois partir loin très
loin. Vouloir tout est là ! Mademoiselle Point fermez vos yeux
éberlués. Votre étoile file. Vite. Serrez le poing. Faites un vœu.
Dites : « Je suis l'impératrice d'Europe ! »
Vous verrez vous la serez.
MLLE POINT.
Impératrice d'Europe...
GÉRARD. Vous
restez ici. Vous additionnez des chiffres. Dehors l'été fulmine.
Vous croyez mener une vie sédentaire. C'est un suicide, une mort
sédentaire. Il faut partir partir partir.
ANNA. Difficile
partir.
Catherine Anne :
Une année sans été,
I, 1 (Actes Sud-Papiers, 1999, p. 9)
Une
année sans été de
Catherine Anne,
mise
en scène de Joël Pommerat
à
Berthier-Odéon, 17ème (Petite salle) du 4 au 30 avril 2014